[Observatoire Cetelem 2021] Sans contact : les consommateurs européens mitigés
L’Observatoire Cetelem 2021 a pour thème le « sans contact », une tendance à l’œuvre depuis des décennies, mais qui a connu une accélération avec la crise de la Covid-19. De cette exploration sous de nombreuses facettes, on pourra retenir l’ambivalence des Européens, qui y voient une régression en termes de relations humaines, mais aussi un moyen de s’affranchir de taches quotidiennes fastidieuses. Du grain à moudre pour les retailers, amenés à jouer la complémentarité entre le magasin comme lieu d’interactions humaines, et le e-commerce pourvoyeur de services.
Lire aussi : [Crise sanitaire] Quels enseignements pour le commerce de l'habitat ?
Parmi ses nombreux impacts sur la vie quotidienne, la crise de la Covid-19 a accéléré le développement de pratiques sans contact, qui ont l’avantage de réduire le risque de contamination, et pourraient perdurer après la pandémie. Mais comment le « sans contact » se manifeste-t-il concrètement, et surtout quelle en est la perception par les consommateurs européens ? C’est le thème qui a été choisi par l’Observatoire Cetelem pour sa livraison de 2021*.
Une appréciation contrastée
En premier lieu et sans surprise, le « sans contact » – on considère donc ici la notion générale, autrement dit « la vie sans contact » – se traduit par les mesures de distanciation liées à la Covid-19 (pour 46 % des sondés), et par le paiement sans contact (37 %), les communications virtuelles entre les gens (35 %), et le télétravail (33 %). Viennent ensuite, assez loin derrière, le masque (26 %), le téléphone (20 %), la télémédecine (15 %), les applications (11 %) et enfin le contrôle à distance par la domotique (9 %). Premier enseignement majeur de cet Observatoire Celetem 2021 : la vie sans contact ne séduit pas les Européens, qui la perçoivent de façon plutôt négative, en tout cas contrastée : 73 % y associent au moins un terme négatif – solitude, tristesse, difficulté – tandis que loin derrière, 58 % d’entre eux y associent au moins un terme positif comme praticité, facilité ou progrès (voir figure 15).
Attention, l’étude souligne des disparités entre trois groupes de pays européens : les pays du nord – Royaume-Uni, Suède et Allemagne auxquels on peut ajouter l’Autriche – favorables de 58 à 72 % au sans contact, grâce à une antériorité de ces pratiques associée à une aisance économique ; les pays du sud – Portugal, Espagne, Italie – moins favorables, à savoir entre 39 et 48 % au sans contact, en raison d’une moindre antériorité et d’une économie moins stable, dans laquelle on peut classer la France (48 % de termes positifs) ; et enfin un troisième groupe d’ex-pays de l’Europe de l’est, où le sans contact, qui a connu une croissance rapide dernièrement, est perçu plutôt comme un progrès et donc positivement (exemple 70 % de termes positifs en Slovaquie, 67 % en Pologne, 66 % en République Tchèque).
Le sans contact perçu globalement comme une contrainte…
Cet Observatoire nous apprend aussi que 8 Européens sur 10 considèrent les pratiques sans contact comme présentes dans leur vie quotidienne. Plus précisément, ils jugent les pratiques sans contact – télétravail, communication avec d’autres personnes à distance, paiement sans contact… – « plutôt présentes » à 51 %, « présentes » à 81 % et même « très présentes » à 30 % dans leur vie quotidienne. A contrario, ils ne sont que 19 % à les considérer comme « pas présentes », 15 % comme « plutôt pas présentes » et 4 % comme « pas du tout présentes ». Ce qui ne veut pas dire qu’ils acceptent cette situation, puisque 6 Européens sur 10 la vivent comme une contrainte (voir figure 20). Les sondés sont en effet 40 % à dire qu’ils choisissent ces évolutions, contre 60 % à dire qu’ils ne les choisissent pas mais y sont contraints. De plus, le sentiment de contrainte va croissant avec l’âge des personnes interrogées. Il n’y a qu’un pas pour en déduire que l’essor du sans contact ne séduit pas les Européens, franchi par les auteurs de l’étude : 45 % seulement d’entre eux se déclarent satisfaits de ces évolutions (voir figure 21). Ici encore, on constate des disparités géographiques : les pays du nord se montrent les plus favorables – notamment l’Allemagne à 56 % et le Royaume-Uni à 52 % – auxquels il faut ajouter l’Espagne (55 %). En revanche, les pays les moins développés de l’espace européen sont les plus réticents – la Bulgarie avec 32 % d’avis favorables et la Roumanie avec 18 % – tandis que la France se classe plutôt en queue de peloton avec 37 % d’avis favorables, derrière la Belgique et la Pologne (39 %), le Portugal (44 %) et l’Italie (45 %).
Comment sont appréciés les impacts des pratiques sans contact en fonction des domaines d’application ? Sur ce point encore, les avis sont contrastés, mais globalement plutôt négatifs. Un seul domaine en effet, remporte une majorité d’opinions positives, celui de la sécurité sanitaire et de la santé, avec 44 % d’opinion positives contre 36 % de négatives. Ce qui n’a rien d’étonnant, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, puisque l’absence de contact – la distanciation sociale – est le meilleur moyen de prévenir la contamination. Mais en dehors de ce thème, ce sont les opinions négatives qui l’emportent : 55 % d’opinions négatives contre 23 % de positives seulement pour l’école et l’apprentissage à distance ; 46 % d’opinions négatives contre 28 % pour la solidarité entre générations ; 44 % d’opinions négatives contre 24 % pour le pouvoir d’achat ; 54 % d’opinions négatives contre 23 % pour la liberté ; 54 % d’opinions négatives contre 22 % pour l’économie de son pays…
…mais apprécié pour des tâches pratiques, dont l’e-commerce
Cependant, une ligne de partage s’établit clairement entre d’une part les relations sociales – faire une rencontre, fréquenter ses amis, communiquer par visioconférence… – pour lesquelles le sans contact est jugé négativement, et d’autre part les opérations de tous les jours, où le sans contact facilite la vie : faire ses courses, du shopping en ligne recueille 73 % des suffrages, gérer son budget, ses démarches administratives sur des plateformes ou via des applications en recueille 70 %, moins utiliser la monnaie et davantage le paiement sans contact en recueille 66 %, travailler à distance (télétravail) 57 %… (voir figure 24).
Cet a priori positif pour le sans contact s’applique bien sûr à l’e-commerce, pour lequel l’Observatoire 2021 relève un regain d’intérêt quasi-unanime en Europe : + 35,5 % d’intérêt pour les plateformes d’e-commerce en un an en Espagne, + 28,6 % en Italie, + 27,2 % au Royaume-Uni, + 20 % en France… Constatation importante, dans cet unanimisme, les consommateurs français sont de loin les moins enthousiastes à l’idée de faire leurs courses en ligne, avec 51 % de suffrages, contre 73 % pour l’ensemble des Européens. Même si le confinement a entraîné une nette augmentation de cette pratique, cela semble traduire un attachement particulier au commerce traditionnel dans notre pays, une donnée à prendre en compte par les professionnels du retail. L’étude nous apprend aussi que les Britanniques et les Français font partie des premiers qui apprécient de ne plus devoir serrer la main ou faire la bise pour saluer quelqu’un, à respectivement 47 et 44 %.
Des conséquences importantes pour la société
Comme cela est souvent constaté par les équipes de l’Observatoire, il existe une différence de perception du sans contact aux niveaux individuel et collectif. Les consommateurs européens jugent à 66 % qu’il est facile pour eux – contre 34 % qui le jugent difficile – de s’adapter personnellement au sans contact, tandis que 53 % considèrent que l’adaptation est difficile pour l’ensemble de la société (contre 47 % qui la jugent facile). Si une minorité des sondés jugent cette évolution favorable pour eux personnellement (29 %), et pour la société (29 %), ils sont en revanche une majorité (54 %) à considérer que le sans contact est favorable à l’environnement. Selon un diagnostic partagé, « on a changé nos manières de faire dans le travail, on imprime moins et on prône le numérique, pour l’empreinte carbone c’est bien. On a tous naturellement évolué vers ça et c’est très positif. »
Attention cependant, toutes les catégories de la population ne sont pas égales face au sans contact (voir figure 29). L’ensemble des Européens sondés estiment que ceux qui ont le plus de facilité à s’y adapter sont les catégories aisées (76 %), les jeunes (71 %), les urbains (69 %) et les enfants (62 %). Les choses sont en revanche plus difficiles pour les gens qui habitent à la campagne (37 % s’adapteront facilement), les personnes en perte d’autonomie (28 %), et les personnes âgées (20 %). Dans cet ensemble, les pays du nord se montrent plus optimistes, tandis que les pays d’Europe centrale sont les plus réservés. Cet item est une illustration supplémentaire de la « fracture numérique » entre d’une part les catégories socio-professionnelles, et d’autre part les villes et les campagnes.
En conclusion, la perception du sans contact par les Européens apparaît donc comme ambivalente, à savoir porteuse d’une forme de régression sociale dans les relations humaines, et en même temps d’un progrès par la simplification de certaines procédures quotidiennes, qui fait gagner du temps et donc de la liberté. Selon la psychologue américaine Sherry Turkle, citée par l’étude, nous passons d’une civilisation de la communication à une civilisation de la connexion, où les nouvelles technologies « évitent la mise en relation directe, et nous donne le contrôle de nos vies, en nous permettant d’effacer et de retoucher ce qui ne nous plaît pas, et d’ajouter ce qui nous valorise ». Le sentiment que personne ne nous écoute est compensé par celui que les machines le font, nous passons sous le règne du « je partage, donc je suis. » Logiquement, les Européens sont donc partagés sur leur désir de voir la société s’orienter vers un développement du sans contact : 53 % le jugent souhaitable contre 47 %, les Français faisant partie des plus réticents (47 % de favorables). 80 % des Européens jugent cependant ce développement du sans contact probable à l’avenir. Pour gérer les enjeux qui concernent le sans contact, notamment la sécurité et le respect de la vie privée, les Européens accordent leur confiance en premier lieu aux entreprises à égalité avec les citoyens eux-mêmes, (61 %), en second lieu aux collectivités locales (57 %), et en queue de peloton aux pouvoirs publics (54 %).
*L’étude, qui s’est déroulée du 27 novembre au 8 décembre 2020, a été réalisée par l’institut Harris Interactive, qui a interrogé en ligne 14200 personnes, âgées de 18 à 75 ans, issus d’échantillons représentatifs, selon la méthode des quotas, de chacun des 15 pays concernés : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, France, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie et Suède. 3000 interviews ont été réalisées en France et 800 dans chacun des autres pays.
——————-
[Zoom]
Une conjoncture marquée par la crise sanitaire
La première partie de cet Observatoire Cetelem 2021, traditionnellement consacrée à la perception de la conjoncture vue sous l’angle de la consommation, met en évidence une dégradation du moral des Européens, comparable uniquement, depuis 20 ans, à celui qui avait été observé au moment de la crise des « subprimes » en 2008. A la question « comment noteriez-vous la situation actuelle de votre pays sur une échelle de 1 à 10 », la moyenne s’établit à 4,7, contre 5,4 en 2020, soit un recul de 0,7 point (4,4 pour la France, contre 5,3 en 2020, soit un recul de 0,9 point). Concernant leur situation personnelle, les sondés sont plus positifs, avec une moyenne européenne de 5,7 sur 10 contre 6,0 en 2020, soit un recul de 0,3 point (5,9 pour la France, contre 6,1 en 2020, soit un recul de 0,2 point).
Consommation en baisse, épargne en hausse
Conséquence logique d’un contexte dominé par les incertitudes liées à la crise sanitaires, les Européens prévoient de consommer moins et d’épargner plus dans les 12 prochains mois, ce qui va ralentir la machine économique. Ils sont en effet 34 % en moyenne dans les 15 pays concernés à vouloir augmenter leurs dépenses, un pourcentage en net recul de 6 % par rapport à 2020 (29 % en France, en recul de 6 points). En corollaire, les Européens sont 54 % à vouloir augmenter leur épargne, une hausse de 3 % par rapport à 2020 (40 % des Français sont dans ce cas, en hausse de 5 points). Le taux d’épargne dans la zone euro a véritablement explosé en 2020 – en raison notamment des confinements – pour passer de 8 à 18 % environ en moyenne.
Pouvoir d’achat en baisse sauf en France
Quels que soient leurs revenus, la morosité règne chez les consommateurs européens, dont près de la moitié déclarent « qu’ils n’ont pas envie de dépenser » (voir figure 6). Les postes de dépenses les plus affectés sont les voyages et les loisirs (-13 %), tandis que ceux qui en profitent le plus sont ceux qui permettent de s’évader… à domicile. En ce qui concerne le pouvoir d’achat, on constate aussi une dégradation, puisque 17 % des Européens ont le sentiment qu’il a augmenté (-7 %), que 46 % estiment qu’il est resté stable (+2 %), et que 37 % estiment qu’il a baissé (+ 5 %). La France se distingue sur cet item, puisqu’elle enregistre le même pourcentage qu’en 2020 de personnes estimant que leur pouvoir d’achat a augmenté (13 %), tandis que les autres pays enregistrent des baisses plus ou moins marquées de cet indicateur (-3 % en Allemagne, -4 % au Royaume-Uni, et jusqu’à -9 % en Italie, -11 % en Espagne, -15 % en Pologne, voir figure 9). Cette perception d’un pouvoir d’achat stable dans notre pays est probablement due à des mesures de chômage partiel parmi les plus favorable en Europe.