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(c) Karla Vinter Koch

5.6.2025

Max Flageollet (Groupement Contract Ameublement français) «L’hotellerie est un metier de specialiste »

A l’heure où le marché du mobilier domestique marque le pas, celui du mobilier d’hôtellerie, qui ne cesse de se revigorer depuis la fin de la crise du Covid, apparaît comme une opportunité de diversification à saisir pour les fabricants de mobilier notamment français. Cependant, sur les marchés du contract, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Comme l’explique Max Flageollet, président du Groupement Contract Ameublement français et directeur de Ligne Roset Contract, il faut connaître ses forces et ses faiblesses, et surtout s’associer, pour apporter une réponse globale et convaincante à des donneurs d’ordres qui font face à de nombreuses contraintes d’exploitation. Propos recueillis par FRANCOIS SALANNE

Comment se porte le marche de l’hotellerie aujourd’hui ?

Pour avoir une bonne idée de sa santé, on peut se référer au dernier salon MIPIM – le Marché International des Professionnels de l’Immobilier – qui a eu lieu du 11 au 14 mars 2025 à Cannes, où se donnent rendez-vous les acteurs de ce marché. On a pu constater que, pour les investisseurs, l’hôtellerie est devenue un actif très intéressant, autrement dit bon nombre d’entre eux sont prêts à miser sur ce secteur, parce qu’ils constatent de bonnes perspectives de croissance pour les années à venir. Un constat semble aujourd’hui partagé par tous : quand le marché du mobilier domestique est en berne, celui du mobilier d’hôtellerie en profite par un effet de vases communicants. Après avoir investi dans leur domicile pendant les années post-Covid qui ont été fastes pour le mobilier domestique, les consommateurs se sont remis à voyager, ce qui porte le secteur du tourisme et donc de l’hôtellerie.

Pour profiter de cet elan, quelles sont les strategies qui sont adoptees par les groupes hoteliers ?

La tendance consiste à faire en sorte que les clients aient le plus l’impression de se retrouver chez eux dans leur chambre d’hôtel, ce qui est une façon de contrer le développement de la location meublée courte durée, proposée par les plateformes du style Airbnb. L’hôtel a une belle carte à jouer, car les villes et collectivités locales sont en train de durcir la réglementation pour endiguer ce phénomène, qui met à mal le parc locatif classique dans les endroits les plus touristiques. Du côté des groupes hôteliers, on assiste à une multiplication des enseignes – de l’entrée de gamme jusqu’au luxe – et des concepts de chambres à l’intérieur de chaque enseigne, pour laisser le choix aux franchisés, le tout pour segmenter l’offre, et éviter de retomber dans la standardisation. D’autre part, on assiste aussi à une déstructuration de la chambre d’hôtel. Longtemps, elle s’est composée invariablement d’un lit double, avec deux chevets, un rangement etc., mais aujourd’hui, les hôteliers sont beaucoup plus souples sur le type d’hébergement proposé. Cette évolution se fait au détriment de l’usage : il y a un débat, par exemple, sur le fait de proposer ou non un bureau. Après l’avoir complètement supprimé au profit d’une table d’appoint, on est revenu à un vrai bureau, mais de dimensions plus réduites. Cette évolution se double, en parallèle, d’un développement de l’appart-hôtel, qui est un autre mode d’hébergement proche du co-living, plus souple, où on peut venir en famille ou entre amis, et qui rappelle, en quelque sorte, la vie à la maison.

Concept de chambre conçu par l’agence Laune pour Okko Hôtels avec l’Ameublement français.

Quelles sont les consequences pour les entreprises qui fabriquent du mobilier pour l’hotellerie ?

L’une des conséquences majeures de cette « déstandardisation » de la chambre d’hôtel, est que les industriels doivent aujourd’hui fabriquer en plus petites séries, et des produits plus compliqués. Quand l’usage primait sur les autres aspects, on allait vers des lignes simples, et des meubles simplement fonctionnels en stratifié. Aujourd’hui, l’accent est mis davantage sur la déco, les donneurs d’ordres veulent des produits multimatériaux, avec du bois, de la pierre, du grès cérame… En réalité, il s’agit d’une bonne chose pour les entreprises, notamment françaises, qui sont implantées localement, et possèdent des savoir-faire reconnus, car elles peuvent fabriquer des produits complexes, avec la qualité requise et en respectant les délais. Mais la contrepartie est qu’elles doivent avoir la capacité d’accompagner les donneurs d’ordre, en remplissant un rôle de co-conception des projets en relation avec les architectes d’intérieur, qui souvent remportent des appels d’offre avec des concepts n’étant pas entièrement aboutis. Autrement dit, le fabricant de mobilier d’hôtellerie d’aujourd’hui doit avoir des compétences en bureau d’études – et les renforcer si nécessaire - pour répondre vite et bien aux attentes et aux interrogations du client hôtelier.

Precisement, vous etes depuis deux ans le president du groupement Contract de l’Ameublement français. Quel est votre diagnostic sur les entreprises françaises qui travaillent sur ce secteur ?

Le gros point fort des fabricants français est, à mon avis, la maîtrise des savoir-faire et la qualité de fabrication. C’est un gros atout aujourd’hui, car elles savent fabriquer des produits qui répondent aux contraintes d’exploitation des établissements collectifs, et se rapprocher de l’agencement quand c’est nécessaire. Elles savent aussi faire du sur-mesure, car une autre conséquence de la « déstandardisation » de la chambre d’hôtel, est que l’on dessine et fabrique de plus en plus sur mesure pour chaque projet hôtelier, autrement dit les produits « sur catalogue » intéressent de moins en moins les donneurs d’ordre. Là où nous pouvons encore progresser, c’est dans notre démarche collective. En effet, les fabricants français ont encore tendance à répondre de façon individuelle aux appels d’offres, en proposant de prendre en charge le lot qui correspond à leur savoir-faire : un lot meuble, un lot siège, un lot agencement… Or bien souvent ils ne sont pas retenus, car ce que veulent les hôteliers aujourd’hui, c’est une réponse globale, d’où le succès des « procurement compagnies », qui sont des prestataires achetant du mobilier pour pouvoir proposer une offre complète. Comme personne ne possède à lui seul tous les savoir-faire nécessaires au projet hôtelier, il est donc beaucoup plus judicieux de s’associer, pour apporter ensemble une réponse pertinente, convaincante, ce que font très bien, par exemple, nos concurrents italiens.

Concept de chambre conçu par l’agence Laune pour Okko Hôtels avec l’Ameublement français.

Il y a donc bien une culture de la fabrication pour le contract, tres specifique, et differente de celle pour le retail ?

Tout à fait, je résumerais cela en disant que l’hôtellerie est un métier de spécialiste. Nous avons à chaque fois, en face de nous, un client hôtelier qui a ses propres contraintes de qualité, de prix, et d’exploitation de son établissement dans le temps. C’est à nous de les comprendre, pour y apporter une réponse en termes de produits, de matériaux, de prix et de services, en nous engageant sur des délais. Avec le projet « La Collab », réalisé avec l’Ameublement français pour le compte de l’enseigne hôtelière Okko Hôtels – présenté sur le dernier salon EquipHotel en novembre 2024 – nous avons démontré qu’une telle réponse collective est possible. La méthode suivie a consisté à réfléchir ensemble, en amont du projet et avec les architectes d’intérieur, pour concevoir et faire fabriquer, par des entreprises françaises, deux concepts de chambre respectant le budget défini par le client, et répondant à ses attentes en termes de qualité, de design et de fabrication responsable. La qualité de la réponse découle de la co-conception des chambres d’hôtel dès le début du projet, alors que le schéma général consiste le plus souvent à retenir un projet non finalisé par l’architecte d’intérieur, en cherchant ensuite les moyens de le fabriquer au moindre coût, avec le risque de dénaturer l’intention de départ. Cette opération a permis de faire bouger les lignes, et de définir une méthode collective et gagnante pour remporter des appels d’offres.  

Qu’en est-il des attentes du secteur en termes de RSE ?

Ces attentes sont toujours là, mais elles subissent des vents contraires en raison d’un contexte international défavorable, qui pousse à remettre les exigences environnementales à plus tard, en privilégiant d’abord le prix. Je pense personnellement qu’il faut continuer dans cette voie, et inclure de plus en plus de RSE dans son offre. Par exemple, nous avons tout intérêt à fabriquer des produits conformes à l’usage, qui vont durer dans le temps, mais aussi à proposer du mobilier modulaire – des tables dont on peut changer le plateau par exemple –, des canapés déhoussables et réparables, qui prennent en compte les contraintes d’exploitation, en incluant une offre de services pouvant faire la différence pour remporter un marché. Il faut aussi jouer la carte du fabricant local, car les grands groupes hôteliers recherchent aujourd’hui des fabricants pas forcément français, mais en tout cas européens, pour éviter le sourcing lointain. Et certains acteurs du marché tiennent bon, et restent fidèles à leurs engagements, comme par exemple les chaînes Okko Hôtels ou Edgar Suites, qui sont entreprises à mission ou certifiés BCorp. Il s’agit d’un investissement à long terme, tous les fabricants qui avancent en RSE seront prêts le jour où la réglementation imposera un affichage environnemental pour le mobilier d’hôtellerie.

 

Concept de chambre conçu par l’agence Eroz pour Okko Hôtels avec l’Ameublement français.

Pour finir, quelles sont les prochaines echeances pour le groupement Contract de l’Ameublement français ?

Déjà, avant cet été 2025, paraîtra le quatrième numéro du « Media Contract » de l’Ameublement français, un média digital dédié, comme son nom l’indique, au marché du contract. Ensuite, sans qu’il soit possible d’en dire davantage, un nouveau projet collectif est en préparation pour une enseigne hôtelière, avec les adhérents du groupement, qui va démarrer au deuxième semestre et s’étendra sur 2026 et 2027. D’ici là, je donne rendez-vous aux acteurs des marchés de l’hôtellerie à notre journée « Le Contract dans tous ses états », qui aura lieu fin novembre ou début décembre 2025, et sera l’occasion de nombreux échanges constructifs sur les actualités et tendances de notre secteur.

Concept de chambre conçu par l’agence Eroz pour Okko Hôtels avec l’Ameublement français.

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[Zoom]

Especes d’espaces : Ligne Roset Contract lance le premier podcast dedie au mobilier contract et a l’architecture d’interieur

Depuis le début 2025, Ligne Roset Contract propose à l’écosystème des professionnels du contract – dirigeants du secteur hôtelier, architectes d’intérieur, fabricants, fournisseurs… - une série d’entretiens avec des architectes d’intérieurs, designers, et décideurs du secteur, autour des plus beaux projets d’aménagements d’hôtels et de restaurants. Chaque mois, Max Flageollet, directeur de Ligne Roset Contract, dialogue sans détours ni langue de bois avec son invité, sur ses dernières collaborations et les défis qu’il doit relever dans un monde en pleine mutation. Alors que le temps presse pour la planète, comment concilier l’audace créative avec les nécessaires engagements pour un tourisme durable ? Espèces d’espaces offre ainsi moment d’inspiration et de réflexion inédit, en liberté, qui enrichit le regard des acteurs du secteur. Les premiers entretiens – menés avec les architectes d’intérieur Jean-Philippe Nuel et Daphné Desjeux, la directrice générale de Okko Hôtels Solenne Ojea-Devys et le designer Ramy Fischler – sont déjà en ligne sur le site de Ligne Roset Contract, Apple Podcast et Spotify, et seront suivis de nombreux autres.

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