[Étude Ameublement Français / Sociovision] Un désir de mobilier modulable et durable
Si on en croit la nouvelle étude qualitative réalisée par le cabinet Sociovision, à la demande de l’Ameublement français, la crise de la Covid-19 a profondément impacté la relation des Français avec leurs meubles. Des confinements successifs est née une envie de pouvoir moduler son intérieur, avec du mobilier évolutif, et de la montée de l’éco-responsabilité une envie de mobilier plus écologique. Telles sont les deux thématiques – maison lego et maison durable – qui structurent cette nouvelle étude, avec à la clé beaucoup de réflexions qui interpellent la fabrication et la distribution.
L’Ameublement français poursuit, avec le cabinet d’études Sociovision, l’exploration des mutations de l’habitat. Une première étude quantitative, réalisée au printemps sur un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population, avait permis de dégager plusieurs grandes tendances : suite aux confinements successifs, la maison est devenue pour les Français un « chantier », puisqu’un grand nombre d’entre eux y ont ou vont y réaliser des travaux. Elle est aussi devenue une « ruche », puisqu’elle est le lieu de nouvelles activités de loisirs, avec un tiercé gagnant composé des activités cuisine, jardinage et bricolage. Enfin, elle aussi devenue un lieu de travail, puisque 38 % y ont télétravaillé, dont certains s’apprêtent à le faire à long terme, et un lieu d’activités physiques, du yoga au sport, comme le vélo d’appartement. Pour aller plus loin, cette première étude vient d’être complétée à la rentrée de septembre par une étude qualitative cette fois, réalisée en interrogeant un petit échantillon composé de deux groupes de 7 personnes, de tranches d’âge différentes et sélectionnées selon des critères socio-démographiques, ayant pour point commun de considérer l’habitat comme un centre d’intérêt. Dans ce deuxième volet, les chiffres disparaissent au profit de témoignages personnels qui servent de base à un décryptage des attentes des consommateurs pour leur habitat.
Les 5 défis à relever
Ces nouvelles pratiques ont mis au jour cinq constats ou attentes principales des Français vis-à-vis de leur logement, à commencer par le manque d’espace, qui peut se traduire par exemple par le besoin d’un plan de travail plus grand en cuisine, ou encore la présence d’objets pléthoriques qui prennent toute la place. Les personnes sondées ont aussi relevé une problématique de gestion des flux, à savoir le manque de solutions pour distinguer les objets dont on se sert souvent et doivent rester à portée, et les autres qui doivent être rangés à part. Le troisième défi est d’ordre esthétique : les Français expriment la volonté de pouvoir cacher les objets qu’ils trouvent peu esthétiques, comme par exemple les articles pour faire le ménage, ou les robots d’électroménager, ou dans le même ordre d’esprit que leur table de travail n’ait pas l’air d’un bureau. Autre question à résoudre, l’hygiène et le circuit des déchets : on ne sait pas bien quelle poubelle utiliser et où la mettre, ni comment faire pour qu’elle n’attire pas les mouches en été, ou organiser un point de compost. Enfin, l’étude met en évidence une problématique, celle des nuisances sonores : pour travailler à la maison, il faut pouvoir disposer d’un espace isolé du reste de la maison, où règne un certain calme.
Un rêve de modularité
Première grande thématique de cette étude qualitative, la modularité apparaît comme une solution, un peu à la manière d’un couteau suisse, à bon nombre de ces problématiques. « Je rêverais d’avoir un logement avec un côté un peu modulable, c’est-à-dire pouvoir si je veux changer mon salon en salle télé ou en coin lecture, et que la télé ne se voie plus parce qu’elle est cachée, et que ça devienne plus une pièce pour recevoir des gens, déclare un homme du groupe des 25-45 ans. En fait, on n’a pas besoin des espaces au même moment de la même manière. » Pour les personnes interrogées, la modularité peut prendre la forme d’un meuble multifonctions, d’une bibliothèque qui se désaxe, d’un lit-armoire escamotable, ou encore d’une console extensible… et elle est parée de nombreuses vertus : elle peut transformer la fonction d’une pièce, elle est simple à mettre en œuvre, elle optimise l’espace et fait gagner de la place. « Je trouverais formidable de pouvoir faire de ma salle à manger tantôt une pièce de réception pour manger quand j’ai du monde, et tantôt une pièce à vivre pour moi toute seule tous les jours, ou une salle de sport », confie une femme du groupe des 45-65 ans. Plus surprenant, la modularité a aussi une fonction esthétique, en permettant de « changer de décor », en occultant l’intérieur d’un meuble, ou en faisant coulisser des parois pour passer par exemple d’une configuration « jour » à une configuration « nuit ». Les personnes sondées rêvent donc de modularité à tous les étages, avec un plan de travail rétractable, une table à repasser encastrable, un dressing qui disparait derrière une cloison coulissante, une table extensible en fonction du nombre de convives…
Une image à améliorer
« La modularité jouit donc d’un imaginaire très riche, mais elle n’est pas si simple à mettre en œuvre, et se heurte à un certain nombre de freins », tempère Lise Brunet, chargée d’études chez Sociovision. En premier lieu, un manque d’acteurs identifiés. S’ils ont une bonne idée de ce qu’elle est, les personnes sondées ont bien du mal à citer une marque de meuble ou d’aménagement modulaire qui l’incarne, une absence de référence qui n’est pas de nature à créer la confiance. Face à ce manque, les consommateurs en mal de modularité se rabattent pour trouver des idées sur les réseaux sociaux – Pinterest, réputé pour ses contenus déco – voire sur les moteurs de recherche, tandis que les plus bricoleurs achètent des matériaux bruts, en grande surface de bricolage par exemple, pour fabriquer eux-mêmes leurs meubles modulaires. L’étude de Sociovison relève d’autres freins qui retiennent de franchir le pas, à commencer par l’esthétique : les meubles modulaires ont la réputation de ne pas être beaux, et d’avoir un côté « hyper moderne », c’est-à-dire qu’ils ont des formes très simples, axées sur la fonction, et des matériaux lisses, ce qui leur donne un côté assez froid. Ils sont aussi associés à une piètre qualité et à des produits peu solides. Les sondés craignent aussi un aspect rébarbatif dans le fait de transformer leurs meubles plusieurs fois par jour, et des mécanismes de transformation trop compliqués à actionner. Par exemple, dans un petit espace, où dois-je ranger les rallonges ? Enfin, l’aspect multifonction peut aussi poser un problème d’hygiène, quand par exemple on passe du repas au travail de bureau sur le même plateau de table, au point que certains rêvent de meubles « auto-nettoyants ».
Mobilier durable : une préoccupation montante
Interrogés sur le deuxième grand volet de l’étude, le mobilier durable, les consommateurs montrent une sensibilité et une connaissance de la question de plus en plus affirmées. En effet, à l’évocation de mobilier « écologique », ils ne pensent pas seulement au produit, mais aux conséquences sur l’environnement de tout son cycle de vie, production, usage, et fin de vie. Le premier critère qu’ils évoquent est celui du meuble d’occasion ou ancien, considéré comme moins impactant pour l’environnement : « Pour moi un meuble écologique c’est d’abord un meuble d’occasion, c’est de garder les meubles et d’en faire des nouveaux sans en acheter des neufs », déclare une femme du groupe 45-65 ans. On se souvient que l’étude quantitative du printemps avait révélé que 39 % des Français ne sont pas d’accord avec l’idée « d’acheter des meubles neufs plutôt que d’occasion ». Le deuxième critère du meuble écologique est la longévité, le fait qu’il dure : « Si je veux acheter un meuble neuf, je vais privilégier sa qualité, c’est-à-dire le fait qu’il dure longtemps. Je n’aurai pas à la jeter, je pourrai toujours le revendre si je veux en changer, car il sera toujours en bon état même après 5 ans », estime une femme du groupe 25-45 ans. En troisième lieu, les consommateurs mettent en avant, pour le meuble écologique, les matériaux peu transformés et non toxiques, et ils ont tendance à « éviter le plastique ». Dans l’étude quantitative, ils étaient 80 % à plébisciter l’emploi de matériaux naturels, et 30 % à se déclarer prêts à payer 15 à 20 % plus cher pour en acheter. Pour s’en assurer, certains indiquent qu’ils regardent les composants, en faisant la chasse aux COV et notamment aux perturbateurs endocriniens, et qu’ils se méfient des odeurs dégagées par des meubles neufs, en particulier dans les chambres d’enfants. Enfin, les consommateurs sont de plus en plus sensibles au cycle de vie du meuble, en amont en regardant l’origine de matériaux, notamment si le bois vient de forêts éco-gérées, « un peu à la manière de ce qui se fait depuis longtemps dans l’alimentaire », ajoute l’intervenante. Ils sont tout aussi sensibles à l’économie circulaire : le produit contient-il des produits recyclés et recyclables, peut-on le ramener en magasin pour une nouvelle vie…
Une absence de marques de référence
Si le désir de mobilier durable est manifeste, l’étude de Sociovision fait apparaître des obstacles à leur acquisition, à commencer par le prix. Les personnes interrogées sont prêtes à payer 10 à 20 % plus cher, mais constatent que c’est souvent beaucoup plus. Autre réserve, le critère de l’écoconception est important, mais ne suffit pas à déclencher l’achat : « Je ne serais pas prête à payer plus cher pour un meuble simplement parce qu’il est écolo, mais s’il est écolo et beau, alors oui », explique cette femme du groupe des 25-45 ans. « On cherche plutôt ce qui est beau, le design, quelque chose de pratique, mais pas forcément quelque chose d’écologique », tempère cette autre femme du même groupe d’âge. En troisième point, de même que pour le meuble modulaire, les participants ont du mal à citer des marques positionnées sur le meuble écologique : seul l’un d’entre eux cite l’enseigne Interior’s, pour son offre de meubles en matériaux bruts et durables, tandis qu’un autre cite la Camif, pour son utilisation de bois en provenance de circuits courts (tous les deux dans la tranche 25-45 ans). Une ou plusieurs marques « locomotives » de ce segment de marché pourraient donc changer les choses.
Enfin, les témoignages recueillis révèlent des attentes en termes de nouveaux services qui n’existent pas encore, ou existent trop peu autour des meubles. Même si cela ne semble pas facile à faire entrer dans les faits, il y a une volonté de pouvoir réparer ses meubles plutôt que de les jeter. Il existe même un plaisir certain à les « rénover » – c’est-à-dire à les transformer, les relooker… – ce qui est davantage perçu comme un loisir, plutôt qu’à les réparer. Au-delà, le fait de pouvoir réparer ses meubles est surtout perçu comme une nécessité écologique qui va se développer. Mais là encore, les conditions ne sont pas réunies : les participants ressentent un manque de compétences pour le faire, ont peur d’y passer trop de temps pour un résultat incertain, et craignent de ne pas trouver les pièces nécessaires à ces réparations. Quant au recours à un service de réparation, ils ne savent pas très bien à qui s’adresser, et redoutent que le coût en soit prohibitif. Pour les petites réparations, ils appellent de leurs vœux l’accès à un réseau de distribution de pièces détachées, et pour les grosses à un réseau de réparateurs, notamment pour les meubles anciens et ceux auxquels on est attaché affectivement. Selon les cas, le coût acceptable d’une réparation s’échelonne dans une large fourchette de 5 % à 50 % du prix du meuble. Ils estiment en définitive que l’ameublement pourrait, à l’image de l’électroménager et de la téléphonie, mettre en place des services de réparation, financés à leur idée, au moins en partie, par l’écotaxe en vigueur dans le secteur. L’étude fait même ressortir l’idée d’assortir une garantie de réparation lors de l’achat du meuble neuf… Un ensemble de services qui pourraient faire l’objet de plateformes digitales, regroupant les offres en pièces détachées, et les réparateurs avec leur spécialisation. De nombreuses pistes de réflexion à méditer pour la fabrication et la distribution.
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[Zoom]
Made in France : un besoin de transparence
80 % des consommateurs considèrent que le made in France est un critère important, et 29 % se disent prêts à payer 15 à 20 % plus cher pour cela. Certains considèrent qu’exporter du bois en Chine, où le meuble est fabriqué avant de revenir en France est une aberration écologique. Mais l’étude qualitative révèle qu’ils sont aussi très méfiants sur la notion de traçabilité : « L’arnaque du siècle, c’est quand on a juste une petite part du produit qui vient de France, et tout le reste de l’étranger », déclare un participant à l’étude. En résumé les consommateurs s’interrogent sur la part réelle du made in France dans les produits affichant ce label.