[Digital Days M&O] Le meuble français, un composé de savoir-faire et de création
Une table ronde sur le thème du renouveau des savoir-faire français, dans le cadre des Digital Days de Maison&Objet, a fait dialoguer un designer et deux fabricants, pour arriver à la conclusion que le meuble français peut se définir par un savoir-faire, gage de qualité de fabrication, et un esprit créatif imprégné de bon goût et de souci du détail. Des fondamentaux à cultiver pour les fabricants, pour séduire à l’international, mais aussi une clientèle française de plus en plus sensible au made in France.
Lire aussi : GEM : accompagnement à la carte et prospection à distance
Sous le titre de Digital Days, Maison&Objet a organisé un ensemble de rendez-vous en ligne qui a débuté à la fin janvier. Huit thématiques, en relation avec l’univers du salon, ont chacune été déclinées en offre produits et tables rondes – les « talks », qui sont en ligne sur le site du salon – à destination de la communauté de la plateforme Maison&Objet & More (MOM), offrant ainsi un pendant digital au contenu de l’édition physique du salon. Le 14 avril dernier, dans le cadre de la thématique «My Furniture is french », en partenariat avec l’Ameublement français, un « talk » a réuni le designer Pierre Gonalons, le directeur général du fabricant de mobilier en métal Matière Grise, Ruben Jochimek, et le PDG de Canapés Duvivier Aymeric Duthoit, invités à s’exprimer sur le thème du renouveau des savoir-faire français. Les trois intervenants ont, en quelque sorte, dressé un portrait-robot du fabricant français, héritier d’une longue et riche tradition de la création d’objets pour la maison, qui faut aujourd’hui actualiser et faire vivre pour conquérir des marchés.
Un socle culturel et industriel
La première idée de cette table ronde, avancée par Pierre Gonalons, est que les designers et les fabricants ont un destin lié, et qu’ils n’existent pas l’un sans l’autre. « Bien sûr, les designers ont une formation et une culture des arts décoratifs, qu’ils doivent réinterpréter avec un regard contemporain, mais ce n’est pas tout, a-t-il expliqué. En plus de créer des lignes et des formes, ils travaillent aussi en relation avec les savoir-faire de l’entreprise, un cadre qui leur donne une idée de ce qu’il est possible de faire ou pas, et de jusqu’où ils peuvent aller. » Et ce qui caractérise le fabricant français, c’est très souvent un savoir-faire artisanal ou industriel, ancré dans l’entreprise. C’est le cas de Matière Grise : « Notre entreprise a été créée par Isabelle Mortreuil à partir d’un savoir-faire existant et d’excellence dans la fabrication de pièces métalliques pour l’industrie, dans une usine implantée à Lentilly en région lyonnaise, explique Ruben Jochimek. Elle a évalué tout le potentiel qui existait pour fabriquer du mobilier, qu’elle a croisé avec le regard esthétique des designers. » Avec le succès de cette nouvelle marque, Matière grise dispose aujourd’hui de son propre outil de production, et de tout l’écosystème de sa maison mère, à savoir des fournisseurs et des partenaires situés dans un rayon de 20 km autour de la fabrique. Et que dire de Canapés Duvivier ? La création de son activité remonte à 1840, à Usson-du-Poitou (Vienne), où sont toujours implantés ses ateliers. « Nous revendiquons et mettons en avant nos savoir-faire et notre longue expérience dans le travail de trois matériaux, le cuir, le bois et le tissu, précise Aymeric Duthoit. À mon arrivée, les produits étaient surtout dessinés en interne, et nous avons décidé de stimuler la création, en faisant appel à des designers externes, pour moderniser les styles, et diversifier les formes. Mais nous sommes restés absolument fidèles à notre socle de savoir-faire, pour conserver une logique, une cohérence avec notre histoire. » L’une des illustrations les plus marquantes de changement dans la continuité est le canapé Jules, signé Charlotte Julliard.
Repousser les limites des savoir-faire par le design
Mais pour faire vivre les savoir-faire, il faut de la création et du design, pour créer une image de marque. Depuis son origine, Matière Grise travaille avec des designers de renom, comme Constance Guisset, Luc Jozancy, Tamim Daoudi, Reda Amalou, ou encore le duo de jeunes designers belges Pauline et Luis, qui se sont familiarisés avec le travail du métal pour donner à leurs créations une vision et une fonction. « Notre mission a été de réinventer le métal, c’est-à-dire faire comprendre qu’il est un matériau noble, et pas un matériau froid réservé au mobilier de jardin. Avec la recherche de la couleur et des textures, avec des formes créatives, nous en avons fait un véritable art de vivre », argumente le directeur général de l’entreprise. Pour arriver à ce résultat, le tandem fabricant – designer s’est attaché à tirer le meilleur parti du matériau métal, tout en respectant une certaine tradition française du respect du détail, et de l’absence de compromis qui appauvrissent le produit.
L’introduction d’une dimension design a aussi une action directe sur les savoir-faire, car le designer a pour fonction de les interroger, voire de les pousser à leurs limites, en tout cas de les faire évoluer. C’est ce qui s’est passé chez Canapés Duvivier, avec par exemple la chilienne Émile signée Guillaume Hinfray. « Il s’agit d’une véritable réinvention de la chilienne, qui devient un produit haut de gamme, avec une structure en chêne massif cirée à la main, et l’incrustation d’une manchette en cuir dans l’accoudoir, précise Aymeric Duthoit. Cette démarche s’appuie sur nos savoir-faire traditionnels d’ébénisterie et de sellerie. » Mais l’entreprise a aussi enrichi sa palette, avec l’ajout la maroquinerie, à l’origine de la double surpiqûre pincée qui donne tout son charme au canapé Auguste (design Guillaume Hinfray), un produit qui symbolise bien le concept de « chic décontracté à la française » revendiqué par la marque.
Pour les deux dirigeants d’entreprises, le made in France est aujourd’hui clairement un atout, même si fabriquer dans notre pays reste un challenge, en raison des coûts salariaux élevés, qui obligent à dépasser la simple question du prix, pour proposer une valeur ajoutée qui tient précisément de l’alliage entre les savoir-faire de qualité et la création. « Cette identité a longtemps été recherchée surtout par les acheteurs et prescripteurs étrangers, qui associaient la fabrication française avec le chic voire le luxe, conclut Ruben Jochimek. Mais la crise de la Covid-19 a modifié beaucoup de choses dans cette perception. Aujourd’hui, les consommateurs français sont devenus sensibles à l’origine des produits qu’ils achètent, et veulent savoir comment, par qui et où ils sont fabriqués. » Autrement dit, les consommateurs français, qui recherchent de la proximité, et du sens pour leurs achats, redécouvrent la fabrication française. Une opportunité à ne pas laisser passer.