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7.7.2023

Max Flageollet (Ligne Roset Contract) : « Vers une hôtellerie plus agile et plus responsable »

Deux ans après la fin de la crise sanitaire, le directeur de Ligne Roset Contract, l’un des principaux fabricants français de mobilier pour l’hôtellerie, donne son regard d’observateur avisé sur les évolutions de ce marché. Il insiste notamment sur le retour de la prescription, une alternative plus agile et plus responsable au sur mesure, et sur les exigences croissantes des donneurs d’ordre en matière de RSE, qui se traduit notamment par du mobilier associant création, valeur d’usage et éco-conception.

Le Courrier du Meuble & de l’Habitat : Quel état d’esprit constatez-vous chez vos clients hôteliers aujourd’hui ?

Max Flageollet : Après le traumatisme de la crise du Covid-19, le marché est reparti de l’avant en deux temps : les voyageurs locaux sont revenus en 2021 et au premier semestre 2022, suivis depuis une petite année par les voyageurs internationaux. Jusqu’à présent, c’est surtout l’hôtellerie économique et moyen-de-gamme qui bénéficie de cette relance, elle a retrouvé des taux d’occupation similaires à ce qu’ils étaient avant le Covid-19. L’hôtellerie de luxe a plus de mal à repartir, parce que les voyageurs internationaux ont mis plus de temps à revenir, et ses taux d’occupation sont encore en retard par rapport à avant la crise.

Le nombre de projets en cours est-il revenu à la normale ?

On perçoit un optimisme modéré en raison des événements importants que se profilent – Coupe du Monde de rugby, Jeux Olympiques de Paris 2024 – qui sont synonymes de fréquentation élevée, mais il s’accompagne d’une certaine prudence de la part des investisseurs, car on ne sait pas très bien quelle tournure prendra le marché à l’issue de ces événements. D’autre part, certains gros projets – l’hôtel prévu sur l’île Seguin, ou celui qui était prévu dans les tours Sisters à La Défense – sont pour l’instant interrompus. C’est ce qui explique pourquoi le segment le plus dynamique aujourd’hui est la rénovation d’établissements existants.

Nouvelle chambre conçue par Ramy Fischler (RF Studio) pour Novotel et fabriquée par Ligne Roset Contract.

Précisément, quelles directions prennent aujourd’hui ces rénovations ?

D’une part, les groupes hôteliers aujourd’hui ont tendance à segmenter leur offre : on ne cherche plus à faire un hôtel qui s’adresse à tout le monde – clientèle business, tourisme, tiers lieu de coworking, familles… – mais on voit plutôt une spécialisation des enseignes qui cherchent à être très performantes sur leur segment de marché. Il semble aussi que le positionnement « lifestyle » commence aussi à s’épuiser : on a beaucoup cherché à faire des lieux « instagramables », avec le risque de se perdre en faisant du spectaculaire plutôt que des véritables lieux d’accueil et de service. Il y a une tendance pour un retour à une hôtellerie plus authentique, avec une volonté de confort et de valeur d’usage, tout en recherchant une exclusivité. Cela se traduit par exemple dans le concept Handwritten – littéralement « écrit à la main » – récemment lancé par le groupe Accor. Il s’agit d’une offre qui s’adresse à l’hôtelier indépendant 3 ou 4 étoiles, qui a une cinquantaine de chambres environ, et lui propose une rénovation à coût maîtrisé, qui met en valeur l’identité de son établissement, et son ancrage local.

Quelles sont les autres tendances des aménagements hôteliers ?

On assiste clairement à un retour à la prescription, c’est un tournant important qui a été pris au sortir de la crise sanitaire. Avant la crise, le sur mesure était devenu la règle, même pour les chambres, de la tête de lit aux chevets, du bureau à la chaise de bureau, jusqu’au dressing… A titre d’exemple, pour la rénovation de l’hôtel Intercontinental de Lyon, que nous avons livré juste avant la crise, tout a été spécialement dessiné par Jean-Philippe Nuel, jusqu’à la chaise du restaurant. Les choses ont radicalement changé : les architectes d’intérieur choisissent maintenant souvent des produits qui existent dans les catalogues, qui sont des produits à poser. En parallèle, on constate un recul de l’agencement qui était presque systématique dans les chambres. Il s’agit d’une opportunité nouvelle pour les industriels qui fabriquent en série et veulent se développer sur ce marché.

Stand Ligne Roset Contract, orienté outdoor, sur EquipHotel 2022.

Comment expliquez-vous ce revirement ?

Je crois qu’on avait été un peu trop loin dans le sur mesure, et que les règles du jeu ont changé. Aujourd’hui, les investisseurs sont plus prudents, et le sur-mesure est plus long et plus cher à fabriquer, alors qu’il faut livrer vite. Il y a une volonté de rationaliser les coûts et de réduire les risques, car on sait maintenant qu’un retournement de tendance assez brutal est possible. Tous les acteurs doivent donc faire preuve d’une plus grande agilité, mais ce n’est pas tout. On réfléchit aujourd’hui en amont à la fin de vie des meubles et aménagements. Or, par définition le sur-mesure, adapté à un espace précis, ne sert qu’une fois et ne peut pas avoir de seconde vie, contrairement au mobilier de série à poser. Voilà pourquoi un fauteuil ou un chevet bien dessinés, qui correspondent au projet global de l’hôtel, intéressent aujourd’hui les architectes d’intérieur. Cette tendance rend donc les fabricants qui font de la série plus intéressants pour les hôteliers.

Lire aussi : Après EquipHotel, l’hôtellerie en quête d’un nouveau souffle

Constatez-vous des demandes croissantes en RSE ?

Oui, sans aucun doute, et les choses se sont accélérées depuis le dernier salon EquipHotel de novembre 2022. L’un de nos clients historiques, le Groupe Accor, vient de nous envoyer sa nouvelle charte RSE, qui montre qu’on ne pourra plus fabriquer du mobilier comme on le faisait il y a encore deux ans. Par exemple, Accor privilégie clairement la fabrication locale : on était référencé pour le monde, on devient référencé pour l’Europe… Concrètement, nous avons livré il y a deux ans 250 canapés pour le Sofitel de Mexico, fabriqués chez nous en France puis expédiés par bateau, ce qui ne sera plus possible par souci de réduire le bilan carbone lié au transport. Ces derniers temps, il suffisait d’envoyer notre rapport financier, pour attester de notre solidité financière, et notre rapport RSE. Dorénavant, il faudra remplir tout un questionnaire sur les matériaux que nous employons, comment et où nous fabriquons, ce qui donnera lieu à une grille d’évaluation qui servira à sélectionner les fournisseurs. Ici encore, la crise sanitaire a tout accéléré. Cela traduit la volonté du groupe Accor de faire travailler les acteurs locaux, mais aussi de développer les territoires, en créant de l’emploi, de la compétence et de la valeur. En conséquence, nous devenons plus compétitifs en Europe, mais hors Europe cela va devenir compliqué de travailler quand on n’a pas d’usine sur place…

Mobilier Adagio Access, design Thomas Delagarde © Karla Vinter Koch.

Voyez-vous monter des attentes en seconde main ?

Les enseignes du co-working s’engagent déjà à meubler leurs nouveaux établissements avec une partie de produits de seconde main. Ils sont en avance sur ce point, mais ils seront bientôt suivis par le reste du marché. Je voudrais prendre l’exemple d’un responsable d’établissement hôtelier, qui avait l’intention de renouveler un lot de 80 chaises que nous avions fabriquées pour lui quinze ans plus tôt. Après réflexion, il m’a finalement dit qu’elles étaient devenues l’âme du lieu, qu’il préférait les garder et les rafraîchir en me demandant de lui trouver une solution dans ce sens. Nous avons fini par passer un accord avec un atelier de l’économie solidaire – Emmaüs à Lyon – qui a poncé et reteinté les structures, tandis que nous avons pris en charge la restauration des garnitures et les housses. Il y a cinq ans, nous aurions fabriqué des chaises neuves, mais les choses vont très vite. Cet exemple montre que, à l’avenir, il faudra pour vendre des meubles neufs proposer également une offre de maintenance et de réparation, pour basculer dans une économie non de la consommation mais de l’usage. Aujourd’hui, Ligne Roset garantit le recouvrement d’un siège pendant 5 ans : il va falloir rallonger cette durée. N’oublions pas que les clients, notamment les jeunes, sont de plus en plus sensibles au faible impact des hôtels où ils descendent, qui devient un critère de choix.

Comment ces évolutions se traduisent-elles dans les produits que vous fabriquez pour l’hôtellerie ?

Nous avons, par exemple, remporté l’appel d’offres pour fabriquer l’un des quatre nouveaux modèles de chambres pour les franchisés de l’enseigne moyen / haut-de-gamme Novotel (groupe Accor), dessiné par le designer Ramy Fischler et son équipe (RF Studio), lancés par l’enseigne pour échapper à la standardisation. Nous fabriquons cette chambre entièrement, puisqu’elle se compose de mobilier à poser, de la tête de lit aux deux chevets, jusqu’au canapé en passant par la table car il n’y a plus de bureau, l’idée étant de faire venir les gens qui veulent travailler dans les espaces communs. Mais, en plus du talent du designer, et des matériaux durables et de haute qualité, le plus intéressant est le mobilier qui, entouré d’une peau en textile, est complètement déhoussable, ce qui va permettre de remplacer la housse et d’allonger sa durée de vie. Autre exemple tout aussi parlant, nous sommes partenaire fabricant du projet de mobilier responsable développé par le leader de l’Hospitality Adagio pour son offre économique, Adagio Access. Il s’agit d’un système de mobilier éco-conçu, dessiné par le designer Thomas Delagarde, qui repose sur la combinaison de deux modules de base, complétés par des accessoires amovibles, permettant de répondre à différents usages. Par exemple, différents accessoires peuvent être fixés sur le module bas pour obtenir une chaise, un chevet, une table basse, de même des accessoires fixés sur le module haut permet d’obtenir une table de repas ou de travail, avec son bloc prise et son luminaire… Des pièces complémentaires sont à la disposition des clients dans les parties communes, tandis que l’emploi de deux matériaux seulement – le bois et le métal – avec des accessoires dissociés des meubles, facilite leur démantèlement en fin de vie. Ces deux exemples montrent à quel point l’impact environnemental du mobilier d’hôtellerie est devenu prépondérant.

[Propos recueillis par F. S.]

Mobilier éco-conçu par Ramy Fischler / Novotel Les Halles © Amaury Laparra.
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