[Dossier agencement] Philippe Denavit : « Les agenceurs s’adaptent et se préparent à la reprise »
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Les professionnels de l’agencement pâtissent aujourd’hui des reports qui frappent notamment l’hôtellerie et la restauration, en partie compensés par les projets chez les particuliers, et sont aussi confrontés à une pénurie de matériaux, et à une difficulté à recruter des salariés qualifiés. Mais, comme l’explique Philippe Denavit, Président du Groupe Malvaux* et du Groupement Contract de l’Ameublement français, l’adaptation fait partie de leur ADN, et ils sauront faire jouer la complémentarité entre les contacts physiques et les outils numériques pour relever les nombreux défis des projets à venir.
Quel constat peut-on faire sur l’état des marchés de l’agencement aujourd’hui ?
Globalement, les marchés du contract sont actuellement retardés, mais il reste un fond d’activité pour notre profession. En plus des hôteliers qui profitent de la crise pour rénover leur établissement, le confinement et les restrictions ont amené un boom énorme du marché domestique, car les gens restent chez eux et veulent améliorer leur cadre de vie. En conséquence, les chantiers chez les particuliers ont explosé, avec des volumes souvent inférieurs aux chantiers professionnels mais non négligeables pour nos entreprises. De son côté, le secteur du luxe a ralenti mais maintient ses projets à moyen et long terme. Dans l’hôtellerie 4 et 5 étoiles, le nombre d’appels d’offres reste soutenu, ce qui est un bon signe pour demain, mais les décisions sont longues à venir et les chantiers sont décalés sur 2022 voire 2023. En résumé, pour traverser cette période compliquée, nous devons nous appuyer sur ce qui fait l’ADN des agenceurs, c’est-à-dire l’adaptabilité et la souplesse.
Quels sont les défis – voir les difficultés – auxquelles les agenceurs sont aujourd’hui confrontés ?
Il y a, pour commencer, le manque de visibilité qui a toujours fait partie de notre métier, mais s’est accru avec les incertitudes actuelles. Du fait que des filières entières ont été impactées par la pandémie, et que la demande est repartie très fort sur certains marchés comme les USA qui captent des volumes importants, nous connaissons aussi de sérieux problèmes d’approvisionnement sur de nombreux produits comme les panneaux à base de bois, les stratifiés, les produits en acier ou aluminium, les matières plastiques, les adhésifs… Il en résulte une tension sur les délais de livraison et une augmentation des prix, que les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrages, faute de visibilité, ne veulent pas intégrer aux projets, ce qui augmente encore les tensions sur les délais de chantier. Nous constatons aussi une présence de plus en plus forte de la concurrence étrangère sur les gros chantiers, qui « casse les prix » encore plus qu’avant, et doit amener les entreprises françaises à s’organiser en s’appuyant sur la force du collectif. D’autre part, les webinaires qui ont été organisés par le Groupement Contract de l’Ameublement Français ont amené une prise de conscience : le tourisme de loisir et d’affaires, les organisateurs de congrès, de salons, les hôteliers, les restaurateurs, les architectes d’intérieur, les agenceurs, font partie du même écosystème, soumis aux mêmes aléas du marché. Tous ces acteurs trouvent de plus en plus de solutions ensemble, comme par exemple ces agenceurs qui se partagent certains marchés pour limiter les risques.
Cette grosse année écoulée depuis le début de la crise sanitaire a-t-elle changé la manière de travailler des agenceurs ? Si oui, dans quel sens ?
Comme de nombreux secteurs économiques, nous avons limité les déplacements au strict minimum, et nous avons découvert la visioconférence, qui se révèle très intéressante pour les fonctions transversales, comme la planification, les achats, la relation client… Le télétravail et les mesures de distanciation font que nous rencontrons moins de clients et d’architectes, dont les plannings souvent très chargés les rendent moins disponibles pour nous recevoir en présentation. Sur les chantiers, nous avons pris de nouvelles précautions, et appliqué les gestes barrières, mais fondamentalement le travail reste le même, comme dans les ateliers. A ce propos, j’attire l’attention sur un autre sujet qui nous occupe continuellement depuis bien avant la crise, à savoir la difficulté que nous avons à recruter, en raison d’une pénurie des salariés formés, et de leur manque de mobilité : que ce soit pour des postes d’encadrement, de bureau d’études ou pour des opérateurs en production, le besoin est important et l’offre est absente ! Il serait judicieux de profiter de cette période de transition pour remédier à ce problème.
Votre manière de travailler avec les fournisseurs – dans la ferrure, les panneaux, les composants, etc. – a-t-elle évolué avec l’utilisation d’outils digitaux ?
Effectivement, le digital s’est imposé et certaines évolutions qui étaient en cours se sont accélérées, mais je m’empresse de dire que notre métier ne peut pas être remplacé par un logiciel ou un algorithme. L’agencement reste un métier de contacts, où les rencontres réelles sont essentielles pour la bonne compréhension des projets, ce qui redeviendra la norme après la crise. Autrement dit, tout ne se voit pas au travers d’un écran, nous avons besoin de rencontres et de salons, pour voir et toucher les produits, les finitions, les essences de bois, les matériaux… Cependant, il est vrai que les fournisseurs de composants ont développé un grand nombre de services, comme la découpe à façon, le placage de chant zéro joint, la conception de corps de meubles, etc., qui font appel aux outils numériques, et sont un accompagnement intéressant, surtout pour les artisans agenceurs, qui n’ont pas de bureau d’études pour réaliser leurs plans, ou ne sont pas équipés de tous les outillages nécessaires. La période que nous traversons ne peut que favoriser leur développement. Pour les agenceurs au profil plus industriel, l’assistance en ligne et les hotlines pour la maintenance des machines sont de vraies avancées techniques dans le cadre de l’usine 4.0., de même que les logiciels de conception et de création, qui nous permettent de dialoguer à distance avec les architectes d’intérieur.
Quelles perspectives voyez-vous pour le marché à moyen terme ?
Ce n’est pas complètement ma place de faire de la géopolitique mais nous sommes un peu à la croisée des chemins : soit dans les semaines qui viennent nous devenons un pays vacciné, sûr, rassurant, et alors nous pourrons faire repartir rapidement les secteurs des salons, des congrès et du tourisme, avec à la clé une année 2022 record, soit on tergiverse encore, et nous risquons de perdre notre rang derrière l’Angleterre, l’Espagne ou l’Allemagne, et il faudra des années pour nous en remettre. Un groupe leader de l’hôtellerie en France a gelé tous ses chantiers jusqu’en 2022. Les projets pourraient repartir en mai et juin en région, et plutôt en 2022, voire 2023 dans Paris et sa région, mais 2021 va rester globalement une mauvaise année… Petit à petit, on aperçoit le bout du tunnel : la mixité des lieux, la reconversion des espaces de bureaux en logements ou en hôtels, le besoin d’avoir plus de polyvalence dans son intérieur sont autant de nouveaux modes de vie et d’usage des espaces, qui se dessinent dans les appels d’offres publics, et dont les promoteurs immobiliers commencent à se saisir. Les marchés vont se remettre en route progressivement, et c’est à nous d’être présents dans les régions du monde qui vont se rouvrir au fur et à mesure, en proposant nos solutions d’agenceur-intégrateur dont le marché à besoin.
*Le groupe Malvaux est acteur de référence dans l’aménagement intérieur de prestige dans les secteurs du nautisme, du ferroviaire et de l’hôtellerie de luxe, l’ensemble des produits et services du Groupe fournissent également les marchés du bâtiment et de la distribution.