[Rencontres de l’Ameublement français] Le temps de travail au centre des échanges
Organisées le 23 juin à Paris sur le thème « Quel pouvoir sur le temps & le travail », les Rencontres de l’Ameublement français 2023 ont permis de mette en évidence les nouvelles aspirations des salariés à plus d’autonomie, nées de la période Covid, et de mettre en avant des solutions qui vont dans le sens d’un meilleur bien-être au travail, et sont un moyen de renforcer sa marque employeur.
Bouleversée par les années Covid, le développement du télétravail, la flexibilisation des horaires, les outils numériques, etc., la question de l’organisation et du temps de travail a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. C’est donc fort à propos qu’elle a été choisie comme thématique centrale des Rencontres de l’Ameublement français, qui ont eu lieu le 23 juin à Paris. « Le travail est en pleine mutation, la relation des salariés avec le travail a changé, ce qui fait du recrutement un nouveau défi pour les entreprises, a déclaré Philippe Moreau, le Président de l’Ameublement français, dans son mot d’accueil. Nous devons nous poser ces questions aujourd’hui. » Une perspective qui a été prolongée par Odile Duchenne, responsable du programme Actineo – l’Observatoire de la qualité de vie au bureau – particulièrement bien placée pour observer ces évolutions, qui a animé la journée : « En conclusion de notre Baromètre Actineo 2023, nous avons demandé à notre panel de personnes interrogées – qui travaillent dans les bureaux, y compris dans des entreprises industrielles – quel était pour elles le scénario idéal pour le travail du futur. Elles citent en premier lieu la liberté de choisir ses lieux de travail, pour 66 % d’entre elles, et en second lieu la liberté d’organiser son temps de travail, pour 55 % d’entre elles ». L’étude montre aussi que 68 % des personnes interrogées souhaiteraient, dans l’idéal, passer à la semaine de 4 jours avec une réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires.
Des arbitrages entre travail et vie privée
Pour éclairer le sujet, l’Ameublement français a donné la parole au sociologue du travail Jean-Yves Boulin, qui a retracé à grands traits les étapes historiques de la réduction du temps de travail. Ainsi, de la moitié du XIXe siècle aux années 1960, on a progressivement réduit le temps de travail. Ensuite, des années 1970 à 2002, le mouvement s’est poursuivi jusqu’au passage aux 35 heures, qui s’est accompagné d’un aménagement du temps de travail. Mais depuis, le phénomène dominant a été la « flexibilisation » du temps de travail, qui s’est traduite par une augmentation du travail de nuit, en horaires décalé, « en soirée », voire dominical, à laquelle il faut ajouter l’arrivée des outils numériques, ce qui a augmenté la charge de travail et surtout brouillé les frontières entre vie professionnelle et vie privée. Les salariés se plaignent aussi d’avoir un rythme de vie trop rapide, et pas assez de temps pour leur vie privée, notamment leur vie de famille. « Le résultat global de ces évolutions, ce sont des salariés qui souhaitent aujourd’hui un desserrement des contraintes liées au travail, et une meilleure séparation entre travail et vie privée », résume le sociologue. Ils sont donc devenus plus « difficiles » dans les conditions de travail qu’ils sont prêts à accepter, c’est ce que les médias ont décrit abondamment sous les termes d’« économie de la flemme », ou de « grande démission », une situation responsable en bonne partie des difficultés actuelles à recruter. Pour corroborer cette analyse, le baromètre Actineo relève que la moitié des actifs (50 %) se disent stressés au travail, un sentiment partagé par 60 % des 35-44 ans.
C’est dans ce contexte qu’est arrivé le télétravail – pour 25 à 30 % des salariés, ceux qui peuvent travailler à distance – avec un bilan mitigé : « Il a été un facteur d’autonomisation, et de gain de temps avec la suppression du temps de transport, a ajouté l’intervenant, mais il a brouillé encore plus les frontières entre travail et vie privée ! Pour certains, ce changement est positif, mais d’autres ont du mal à s’organiser de façon structurée, ils travaillent sans limites d’horaires, en ayant perdu le contact structurant avec leur équipe et leur hiérarchie. » En conclusion, le sociologue a indiqué « qu’il n’est pas utopique de trouver un terrain d’entente qui satisfasse tout le monde », et ouvert des perspectives en précisant que la semaine de 4 jours, là où elle a été expérimentée, a montré qu’elle réduit le stress et l’anxiété des salariés, et permet de maintenir la production, grâce à une augmentation de la productivité en cas de maintien des salaires.
Petites structures : la semaine de 4 jours, c’est possible !
Confinement, fermetures temporaires d’usines, mise en place du télétravail, mais aussi démissions et difficultés à recruter… Le Covid a impacté en profondeur la marche des entreprises, notamment de fabrication de meubles, et les a amenées à adapter leur organisation du travail et notamment du temps de travail. Pour certaines d’entre elles, il y a bien un avant et un après Covid, et on peut penser que l’onde de choc n’a pas encore produit tous ses effets. C’est ce qu’a montré la table ronde qui a suivi, animée par Odile Duchenne, réunissant plusieurs chefs d’entreprises confrontés à cette situation, qui ont fait part des solutions qu’ils ou elles ont mis en œuvre. Confronté à des problèmes de recrutement, Raphaël Voisine, dirigeant de Azur Confort, qui fabrique du mobilier en bois pliant pour l’hôtellerie haut de gamme – notamment le fameux fauteuil « metteur en scène » – a franchi le pas de passer à la semaine de 4 jours : « Nous sommes passés à des horaires de 4 x 9 heures par semaine, sans perte de productivité, et en créant de la polyvalence pour éviter la répétitivité – par exemple les vernisseurs n’appliquent plus du vernis toute la journée, explique-t-il. Le résultat est très positif, les arrêts de travail sont en nette baisse, il n’y a que des avantages et je ne reviendrais pas en arrière. »
Présidente de Mirima, qui fabrique du mobilier contract pour les marchés de la santé et de l’hôtellerie – avec les marques Mirima et Classhôtel – Isabelle Vray-Echinard a elle aussi été amenée à innover dans le l’organisation du travail, pour relancer l’activité après la crise sanitaire, qui s’est soldée par une baisse de chiffre d’affaires de – 28 % pour Mirima et – 95 % pour Classhotel en 2021, une chute d’activité aggravée par des départs en retraite. « Face aux nouvelles aspirations des salariés, nous avons fixé un cadre préalable à tout changement, à savoir le maintien de la production, et le respect des clients et des délais, et nous avons écouté leurs propositions, explique la dirigeante, et nous sommes parvenus à un accord : les gens travaillent soit 4 jours, soit 4 jours et demi par semaine, la durée du travail étant maintenue à 35 h avec des salaires inchangés, et sur proposition des salariés, la fermeture estivale a été écourtée à 3 semaines. » La nouvelle formule fonctionne, puisque les commandes partent à l’heure et qu’il n’y a plus de conflit de priorité entre les deux marques. En revanche, le télétravail demandé par certains n’a pas été retenu, pour conserver une égalité de traitement entre la production et les bureaux.
PME, ETI : davantage de flexibilité
La table ronde s’est poursuivie avec l’intervention de Laurence Chrétien, directrice des ressources humaine de l’industriel du meuble de cuisine Schmidt, qui n’a pas adopté la semaine de 4 jours, par crainte de perdre en productivité, mais engagé une concertation avec les représentants des salariés sur le temps de travail. « La concertation est la bonne méthode, même s’il est impossible de répondre aux aspirations de chacun de nos 2 000 salariés, explique-t-elle. A l’arrivée, nous avons surtout créé de la flexibilité, en passant de 6 à 8 jours de télétravail par mois, avec de la souplesse grâce à beaucoup de plages variables pour le télétravail, étendu jusqu’aux responsables de production, qui nous disent qu’ils ont moins de stress, et sont plus concentrés et donc plus efficaces. Selon les accords passés, il est également possible de venir travailler à l’usine qui se trouve le plus proche de son domicile. » Plus de flexibilité, c’est aussi le choix qui a été fait par Baxter International, une entreprise qui fabrique du mobilier médical, suite à un accord passé avec les représentants du personnel. « Pour répondre aux flux de commandes variable, nous sommes passés en horaires variables de 30 à 45 heures par semaine, en restant sur une moyenne de 35 heures, et avec jusqu’à 12 jours de télétravail par mois, c’est-à-dire une obligation d’être présent 2 jours par semaine sur site », détaille Véronique Decker, responsable ressources humaines de l’entreprise.
Dernier intervenant de cette table ronde, Timothée Acheritogaray, directeur général du fabricant de sièges de bureaux Sokoa, a lui aussi dit tout le bien qu’il pense des aménagements qui ont été réalisés suite à la crise sanitaire : « Nous avions avant la crise un accord sur le temps de travail, avec des horaires fixes et à la clé une prime de régularité qui s’est révélée une source de stress, explique-t-il. Grâce à une volonté collective d’aboutir, nous avons établi un nouvel accord qui donne aux salariés des plages horaires variables, avec pour contrainte qu’ils fassent 35 heures par semaine en moyenne sur deux semaines. Ils passent entre deux et trois jours par semaine sur site, et le reste en télétravail ». Selon les mots du chef d’entreprise, « Nous avons transformé un télétravail subi en un télétravail construit », et « Le Covid a fait gagner à l’entreprise entre 5 et 10 ans ». Ces mesures sur le temps de travail s’accompagnent aussi d’initiatives pour améliorer le bien-être des salariés, comme – parmi de nombreux exemples – des activités de loisir collectives et des tables rondes sur le sens du travail organisées par Baxter, des cours de yoga chez Schmidt, ou encore un modèle d’actionnariat populaire mis en place chez Sokoa, pour augmenter l’implication des salariés par leur participation au capital. Les nouvelles attentes des salariés en matière de temps de travail sont donc aussi une incitation forte pour les entreprises à s’engager dans la RSE pour améliorer leur marque employeur.
Légende du visuel en une : Table ronde, de gauche à droite : Jean-Yves Boulin (sociologue), Véronique Decker (Baxter International), Timothée Acheritogaray (Sokoa), Raphaël Voisine (Azur Confort), Isabelle Vray-Echinard (Mirima), Laurence Chrétien (Cuisines Schmidt) et Odile Duchenne.
[F. S.]
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[Zoom]
Les trois « Coups de cœur RSE » 2023
Responsable RSE de l’Ameublement français, Laurence Roure a remis, à l’occasion de ces Rencontres, les trois Coups de cœur RSE de 2023, à trois entreprises qui ont été particulièrement actives dans ce domaine. Il s’agit de La fabrique, une entreprise qui agit dans l’insertion par l’apprentissage des métiers du meuble et de l’économie circulaire, de Hillrom (Baxter International), pour son management reposant sur la transparence, l’anticipation, le partage et le respect des engagements pris, et de Ergosanté, une entreprise spécialisée dans les sièges ergonomiques, les exosquelettes, et les équipements spéciaux pour favoriser l’insertion des personnes en situation de handicap.