Salle comble à l'UGC Ciné Cité Bercy Village : environ 150 entrepreneurs ont répondu présent. © Matthieu Germain
[Rencontres 2024 de l’Ameublement français] Modele regeneratif, intelligence artificielle : anticiper les mutations à venir
Lors de ses rencontres annuelles, qui se sont déroulées le 13 juin dernier au cinéma UGC Ciné Cité Bercy Village à Paris, l’Ameublement français a fait salle comble en décryptant le modèle régénératif, un concept radical pour verdir l’activité industrielle, et l’intelligence artificielle, qui va impacter un grand nombre de métiers chez les fabricants de meubles. FRANCOIS SALANNE
Dans un contexte de consommation atone, où les mutations du commerce s’accélèrent, il peut être salutaire de prendre une pause et de réfléchir aux défis de l’entreprise industrielle d’aujourd’hui… et de demain. Hiérarchiser les enjeux, aider aux décisions stratégiques, accompagner les fabricants dans leur mise en œuvre, etc. : ce sont bien ses missions fondamentales qui ont guidé l’Ameublement français dans l’organisation de ses Rencontres 2024, qui se sont déroulées le 13 juin à Paris, devant un parterre de plus de 150 entrepreneurs de notre secteur. Après une Assemblée plénière, réservée aux adhérents, le programme de cette journée sous le thème « Mutations d’aujourd’hui / Entreprises de demain » a été décliné en trois grandes interventions, portant sur le modèle d’entreprise régénératif, l’intelligence artificielle – un sujet omniprésent dans les discussions actuelles – ayant suivi une introduction sur le fonctionnement du cerveau et le rôle des biais cognitifs dans nos prises de décision.
Cap sur le modele regeneratif !
L’impact environnemental de l’activité industrielle est de plus en plus au centre des préoccupation de la société. Il y a urgence à le réduire, ce qui est l’objet de la Directive européenne CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive – qui va obliger les entreprises à fournir un ensemble d’informations concernant leurs performances en termes de développement durable, en premier lieu leur impact sur l’environnement, leur adaptation au changement climatique, leur utilisation des ressources, leur respect de la biodiversité… Une obligation qui concerne pour l’instant les grandes entreprises mais devrait s’étendre petit à petit à toutes. Mais, étant donné l’état de dégradation des ressources naturelles et des éco-systèmes, et la trajectoire prise par le dérèglement climatique, cette réduction des impacts pourrait bien ne pas suffire ! C’est ce qu’a expliqué Christophe Sempels, cofondateur et directeur de Lumià, un centre de recherche sur la transformation écologique des organisations : « Les industries ne doivent pas seulement réduire leur impact négatif, mais avoir un impact positif, autrement dit créer les conditions qui permettent de réparer les destructions que la création d’activités opère sur la nature. C’est le pari que nous faisons avec le modèle régénératif ! ». Pour y parvenir, le conférencier a expliqué qu’il faut en premier lieu réduire les impacts négatifs aux « seuils incompressibles », notamment en réduisant nos émissions de CO2 (de 42 % d’ici à 2030, et de 90 % d’ici à 2050) pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, en faisant appel à des moyens connus, l’éco-conception, la sobriété énergétique, l’économie circulaire, la « low-tech »… Mais cela ne suffira pas : il faudra changer de modèle économique, abandonner certains objectifs, et même fermer certaines activités éco-socio-incompatibles (on peut penser à certains produits en plastique à usage unique).
Devenir une entreprise a impact positif
En second lieu, il faudra que les entreprises aient un impact positif, qu’elles fassent de la « régénération ». On peut distinguer d’une part celles qui ont un lien direct avec le « vivant non humain », comme la sylviculture ou la viticulture, pour lesquelles il suffira de modifier le mode d’exploitation – agro-écologie, permaculture… - pour le régénérer naturellement. Ce qui n’est pas le cas d’un fabricant de meuble, dont l’activité est sans lien direct avec le « vivant non humain », qui devra donc actionner d’autres leviers, comme la reconnexion au vivant via le foncier, les infrastructures et les processus de production, et inscrire son unité de production dans un écosystème coopératif à visée régénérative, grâce à un sourcing vertueux, et en soutenant des projets régénératifs éphémères ou permanents. Pour Christophe Sempels, « Nourrir les deux mouvements requiert un modèle économique refondé pour la filière. » Afin d’illustrer son propos, il a présenté l’exemple, très médiatisé, de l’entreprise de papeterie Pocheco, qui a mené à bien une transformation « systémique » de son outil de production, pour « entreprendre sans détruire, entreprendre en régénérant ». Pour y parvenir, l’entreprise a pris de nombreuses mesures portant sur les processus (par exemple la captation et réutilisation des eaux de pluie), sur les infrastructures et équipements (installation d’une éolienne et d’une centrale solaire, amélioration de la thermique de son bâtiment qui réduit les besoins en climatisation de 82 à 96 %, mise en place de buses à air chaud en remplacement du gaz) et sur le sourcing (substitution des encres solvantées par des encres végétales, sélection des fournisseurs ayant les meilleures pratiques, etc.) « En définitive, l’entreprise a investi 6,6 millions d’euros – dont près de la moitié pour le seul poste énergie – mais a fortement réduit sa consommation d’énergie (300 000 euros d’économies par an), ainsi que ses émissions de gaz à effet de serre (bilan négatif de 46 000 tonnes par an), pour un retour sur investissement global évalué à sept ans », a conclu l’intervenant. Le leitmotiv de Pocheco, qui peut se résumer ainsi, est à méditer : « Stop à la croissance économique à tout prix, notre objectif est la survie de l’activité par une rentabilité maîtrisée, et notre premier objectif de réapprendre à vivre de manière plus harmonieuse ».
Que faut-il attendre de l’intelligence artificielle ?
Autre temps fort de ces Rencontres de l’ameublement français 2024, Emmanuel Vivier, co-fondateur et principal analyste du Hub Institute, est intervenu sur le thème « L’I.A. régénérative, une révolution pour le marketing et la productivité. » Le conférencier a fait un tour d’horizon de l’intelligence artificielle aujourd’hui, et de ce qu’elle peut apporter aux entreprises, notamment de l’ameublement, en expliquant que « l’I.A. va bouleverser tous les métiers du tertiaire, du juriste au commercial, du chef de projet au designer, tous vont travailler autrement. » Il a rappelé que des scientifiques travaillent sur ce concept depuis les années 1950, mais que les choses se sont accélérées depuis peu, avec la montée en puissance des processeurs et la multiplication des données sur Internet et le cloud, pour aboutir entre autres à la révolution ChatGPT, dont tout le monde parle depuis un an-et-demi... En termes de définition, on peut dire que l’I.A. générative, ce sont « des algorithmes pour transformer des grands volumes de données en actions intelligentes », ce qui devient de-plus-en-plus intéressant, à mesure qu’on a de-plus-en-plus de références, de clients, de prospects à gérer. L’intervenant a aussi fait la différence entre l’I.A. (tout court), qui est capable de réaliser très bien une seule tâche, plus vite et moins cher que l’humain – reconnaissance visuelle, biométrie, reconnaissance de la voix et du langage, prédictions, actions physiques répétitives avec les robots, semi-automatisation de certaines tâches de gestion comme la reconnaissance et le stockage d’un bon de commande, d’une facture… – et l’I.A. générative qui, elle, est capable de créer ou modifier des contenus sur la base de ce qu’elle a appris : du texte, de l’image, des chiffres, des clauses de contrats, qu’elle permet de générer, de transformer, de synthétiser… « Et la bonne nouvelle, c’est que l’I.A. coûte des milliards à développer, mais qu’elle sera accessible pour presque rien pour tous les utilisateurs ! » relève Emmanuel Vivier. L’I.A. générative va donc permettre de démocratiser l’usage de l’I.A., puisqu’elle ne demande pas de programmation comme pour l’I.A., et permet de s’adresser à la machine, afin de lui parler de marketing, de RH, de communication… - ce qu’on appelle, dans le jargon, « prompter » - et qu’elle comprend (ou donne l’illusion de le faire) ! On peut ainsi obtenir ce que l’on veut, des contenus, du texte, des images, de la vidéo, etc. L’outil le plus en vue pour entrer dans la pratique est, bien sûr, ChatGPT (Open AI), dont tout le monde parle, et qui a généré… cent millions d’utilisateurs pendant les deux premiers mois, sans dépenser un centime de publicité. Depuis, on a vu, en quelques mois, fleurir des dizaines d’acteurs de l’I.A. générative dans différents domaines, parmi lesquels des start-up et des géants d’internet.
Des applications nombreuses dans l’ameublement
En seconde partie de son exposé, l’intervenant a décliné de nombreux exemples d’applications dans le secteur de l’ameublement, qui concernent essentiellement les métiers du tertiaire, notamment en marketing et communication. Il y a même de grandes chances que les salariés utilisent déjà ChatGPT, sans que l’employeur ne le sache, avec une première réserve : sauf version sécurisée, il n’y a aucune confidentialité des données lorsque l’on utilise ce type d’outil grand public, notamment pour les chiffres d’un devis ou d’un contrat par exemple. Les données produites servent en effet à grossir l’expérience dont la machine se nourrit pour apprendre et progresser, qu’elle peut ressortir comme réponse à une demande d’un tiers. Pour Emmanuel Vivier, il faut voir l’I.A. comme un « super stagiaire », c’est-à-dire qu’elle peut apporter une aide précieuse, tout en ayant ses limites. On a donc tout intérêt à lui demander des choses les plus précises possible, afin d’obtenir les réponses les plus pertinentes. Sans qu’il ne soit facile de toutes les lister, l’intervenant a évoqué beaucoup d’applications possibles de l’I.A. générative, pour synthétiser un appel d’offres ou un rapport annuel, pour résumer un historique d’échanges de mails avec un client, ou encore pour synthétiser une grande base documentaire et - dans tous ces cas de figure - gagner un temps précieux ! Enfin, l’I.A. permet aussi de faire des études de marché, d’élaborer des stratégies de campagne, et de générer à l’infini de la création d’images : prenons pour exemple, sur ce point, l’outil Midjourney, capable de produire à partir de ce qu’il a déjà vu – une image produit, un concept de magasin, une architecture d’intérieur, un intérieur dans un style donné, la transformation d’un croquis en un intérieur réaliste, etc. - à condition, encore une fois, que la demande soit clairement et précisément formulée. L’I.A. peut aussi être un assistant précieux pour l’e-commerce, en analysant les retours clients, et en écrivant des réponses personnalisées à plusieurs centaines d’entre eux, et en RH, pour générer des descriptions de postes, ou analyser des candidatures. En conclusion, l’intervenant a mis en garde contre les limites de tous ces outils, dont les résultats doivent être, dans tous les cas, supervisés par une intelligence humaine, et qui peuvent créer toutes sortes de contenus visuels montés de toutes pièces.