[Olivier, direction générale, et Antoine Roset, directeur marketing du groupe éponyme] « La crise a renforcé notre identité de fabricant »
« La crise a renforcé notre identité de fabricant »
Depuis le début de la pandémie, les confinements successifs et la reprise tonitruante du marché ont fortement secoué les acteurs du meuble. A la fois éditeur, fabricant et distributeur, le Groupe Roset a dû faire face à toutes les difficultés cumulées de ces différentes activités, mais sort de cette période compliquée avec des convictions renforcées sur la pertinence de son modèle économique. Olivier Roset, direction générale, et Antoine Roset, directeur marketing, s’en expliquent.
Comment le groupe Roset a t-t-il traversé cette année et demie de pandémie ?
Olivier Roset : Nous avons subi comme tout le monde le choc du premier confinement de mars 2020, avec la fermeture de tous nos magasins y compris à l’international, une situation totalement inédite. Puis ces derniers ont rouvert le 19 mai après 57 jours de fermeture, jusqu’au second confinement avec une nouvelle fermeture d’un mois en novembre 2020, suivi d’une troisième fermeture début 2021… Au total, la pandémie nous a contraint de fermer nos magasins plus de 150 jours, ce qui est tout simplement énorme. Cependant, le premier confinement a été suivi d’une véritable période d’euphorie, avec un quasi-doublement de nos commandes par rapport à la normale, ce qui fait que les performances de nos magasins additionnées sont tout à fait correctes : notre exercice clos en septembre 2020 est au même niveau que celui clos en septembre 2019, soit un volume de ventes pour l’ensemble du groupe d’environ 250 millions d’euros. Il faut préciser que nos usines ne sont restées fermées que trois semaines, pour raisons sanitaires, et que notre activité a été tirée par l’export, et notamment les marchés asiatiques qui ont redémarré très vite. Le haut niveau de commandes s’est maintenu sur le début de l’année 2021, ce qui fait que notre prochain exercice, clos en septembre 2021, devait être en croissance de 25 à 30 %.
Quelles sont les conséquences de cette situation inédite ?
Olivier Roset : Cette situation génère des soucis nouveaux et nous en sommes conscients. En premier lieu, nous avons perdu 150 jours de chiffre d’affaires en un an et demi, ce qui est considérable, tandis que les charges fixes des magasins restaient identiques, ce qui nous amène à discuter en permanence avec nos bailleurs. Les pouvoirs publics ont instauré un crédit d’impôts à leur attention, pour qu’ils puissent revoir les montants des baux, mais il n’y a aucun mécanisme obligatoire. Nous devons donc, dans la plupart des cas, renégocier ces montants de gré à gré, ce qui est une grosse préoccupation pour nos magasins. D’autre part, les paramètres du marché ont changé : d’un côté notre rythme de fabrication a été impacté par la pandémie en raison de la mise en place des mesures sanitaires et des absences des salariés, et d’un autre côté, nous devons faire face à un afflux de commandes tout à fait inédit. Troisièmement, il y a aujourd’hui une forte tension sur les approvisionnements dans certains matériaux, notamment le bois, les mousses et l’acier. Tous ces facteurs mis bout à bout font que nous avons aujourd’hui des délais de fabrication qui sont passés de huit semaines en temps normal à trois à quatre mois. J’en profite pour préciser que, malgré cet engorgement, nous nous fixons pour règle de traiter tous nos clients à la même enseigne, avec les mêmes délais de fabrication, auxquels bien sûr il faut ajouter le fret et le transport pour l’export. En dépit d’une forte croissance au grand export, nous souhaitons rappeler très clairement que nos marchés et clients historiques France (avec Ligne Roset et Cinna) et allemands (avec Ligne Roset), ont toujours été, et demeurent, notre priorité.
Antoine Roset : Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer les choses, et en premier lieu pour réduire nos délais de livraison. Pour ce faire, nous avons déjà recruté une trentaine de personnes et restons en recrutement permanent pour nos usines, d’autant plus que la pyramide des âges de nos salariés nous amène à anticiper de nombreux départs en retraite dans les prochaines années. Je salue l’implication et l’engagement remarquable de nos salariés, qui ont accepté de passer des accords pour faire des heures supplémentaires, ou aménager certains congés, pour augmenter la production, et participer si je puis dire à cette sorte « d’effort de guerre » ! Pour aller plus loin, nous avons créé sur notre site industriel une école de formation au métier de tapissier, en partenariat avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes et Pôle Emploi, qui sera suivi d’une autre école de formation au métier de la couture [voir encadré]. Cette initiative nous permettra tout d’abord de répondre à nos besoins en main d’œuvre qualifiée, que nous avons du mal à trouver sur le marché. Il faut en effet de 12 à 18 mois de formation pour bien maîtriser ces métiers. D’autre part, elle s’inscrit dans notre ADN, et dans notre culture d’éditeur-fabricant, qui se traduit par des procédés innovants pour pouvoir donner à nos produits la dimension créative issue du travail des designers, qui relèvent à la fois de l’industrie et de l’artisanat. En ce qui concerne les évolutions à moyen terme, nous pensons que l’afflux actuel de commandes va lentement décroître, que nos capacités de production vont être optimisées, et que les approvisionnements en matériaux vont se détendre, pour un retour à la normale à la fin 2021 ou au début 2022.
Dans un tel contexte, votre modèle d’éditeur, fabricant et distributeur est-il un avantage ou un inconvénient ?
Antoine Roset : J’ai envie de répondre les deux à la fois ! Ce modèle génère une forme de rigidité, puisque nous fabriquons la grande majorité de nos produits – en particulier les sièges rembourrés et les meubles, alors qu’une partie de notre offre, les tapis et luminaires notamment relèvent du négoce – sur le territoire français, en étant soumis à la législation française du travail. Par exemple, celle-ci limite le nombre d’heures supplémentaires que nous pouvons demander à nos équipes, ce qui est aussi un garde-fou contre les horaires débridés, qui peuvent créer d’autres problèmes pour la santé des salariés. Ceci nous oppose au modèle « négociant » d’autres éditeurs, qui ont plus de flexibilité pour absorber les afflux de commandes, en les répartissant entre leurs différents partenaires et sous-traitants, dans des pays où la législation du travail peut être moins rigoureuse. Mais ce modèle est aussi un gros point fort dans la période actuelle de retour à une envie de consommer local, pour corriger les excès d’une mondialisation qui nous a créé tant de problèmes. Pendant la pandémie, nous avons clairement senti l’intérêt de nos clients pour connaître l’origine de nos produits, et leur satisfaction d’apprendre qu’ils sont made in France, et défendent localement l’emploi et l’aménagement du territoire. Cette crise a donc été pour nous l’occasion d’expliquer qui nous sommes, et nous avons constaté aussi bien dans les magasins que sur les réseaux sociaux que beaucoup de gens acceptent d’attendre un peu plus longtemps pour avoir un produit dont ils savent d’où il vient, par qui et comment il a été fabriqué. En définitive, le problème de Ligne Roset n’est pas le savoir-faire, mais le faire-savoir, mais la crise actuelle nous a permis de beaucoup progresser sur ce point.
Cette pandémie se traduit aussi par des progrès express de l’e-commerce. Quelle est votre position sur ce point ?
Olivier Roset : Nous avons aujourd’hui des plateformes de vente en ligne, pour nos deux marques Ligne Roset et Cinna, également au Royaume-Uni, aux USA, en Allemagne, ce qui est indispensable pour faire du « media 360 » et être présent dans l’écosystème phygital. Mais je tiens à dire que pour notre groupe, l’e-commerce se positionne en soutien et en complément de nos magasins, qui sont notre première richesse, et sont intéressés à ces ventes en e-commerce. Nous croyons beaucoup à l’animation, et à tous les services qu’on peut proposer en ligne pour faire vivre nos marques, parler des nouveautés, aider nos clients à préparer leurs projets, avec l’utilisation de configurateurs de plus en plus performants… Tout cela permet de soutenir nos distributeurs, et de donner un nouveau souffle, un nouvel élan au commerce. Mais dans notre gamme de prix, quand on va acheter un canapé de 2 000 à 5 000 euros, nos clients finaux ont besoin de venir en magasin, pour voir et essayer avant d’acheter. Pour cette raison, nos ventes en ligne ont effectivement augmenté pendant la pandémie, elles ont été multipliées par trois pour atteindre environ 3 % de nos ventes aujourd’hui, et nous souhaitons qu’elles se stabilisent entre 5 et 10 %. Ce que nous voyons de plus en plus, ce sont des ventes de la part de clients de plus en plus renseignés, qui sont venus en magasin avant d’acheter en ligne, et parce qu’ils ont été rassurés par le réseau : ils savent où s’adresser en cas de problème, ou de SAV. D’autre part, l’espace digital a été fortement utilisé par nos vendeurs pour préparer, faire avancer et améliorer les projets qui ont été stoppés par le confinement. En résumé, notre stratégie n’est pas de multiplier les ventes en e-commerce, mais plutôt de prendre le temps de faire des ventes qualitatives, avec à la clé une augmentation du panier moyen et la satisfaction de nos clients.
Malgré ce contexte particulier, vous avez lancé votre nouvelle collection…
Antoine Roset : En l’absence de salons physiques cette année, nous avions décidé de présenter nos collections Ligne Roset et Cinna à nos clients au Palais de Tokyo à Paris en mars dernier, un lieu dédié à l’art contemporain qui est une source d’inspiration pour nos créations. Mais, face à l’abaissement de la jauge de visiteurs demandée par les pouvoirs publics, nous avons préféré faire une présentation digitale, que nous avons complétée avec des présentations physiques dans certains magasins phares à l’étranger. Quoi qu’il en soit, nos deux collections s’inscrivent dans la continuité des précédentes, en prolongeant des collaborations récentes avec par exemple Sebastian Herkner pour le siège, ou Guillaume Delvigne pour des produits en bois massif, ou déjà bien installées avec de nouveaux canapés très inspirés signés Marie-Christine Dorner. En complément de ceux qui peuvent être pointus en termes de design, nous développons aussi des produits et objets qui ont une connotation plus « déco », avec des matières précieuses comme le marbre ou le bronze, pour répondre aux attentes des architectes d’intérieur en quête d’harmonies plus consensuelles, comme celles qui sont exposées dans notre concept l’Appartement à Lyon. Nos nouvelles collections intègrent aussi les préoccupations liées au développement durable, en utilisant par exemple Really pour les finitions des meubles, un nouveau matériau rigide mis au point par Kvadrat à partir de textiles recyclés. Avec Ligne Roset (re), nous nous lançons aussi dans l’économie circulaire : cette nouvelle marque recouvre un service qui propose à nos clients de reprendre leur Togo – le meuble iconique et best-seller de Ligne Roset – avec un système d’incentive, pour le reconditionner et le revendre en seconde vie quand c’est possible, ou pour le valoriser dans les filières de recyclage quand ils sont en trop mauvais état. De façon générale, nous avons lancé un vaste audit pour analyser et valoriser l’ensemble de nos démarches RSE, de l’utilisation de matériaux à faible empreinte sur la santé et l’environnement, jusqu’à l’énergie verte que nous utilisons pour chauffer nos usines.
La pandémie n’a donc pas, à proprement parler, modifié votre modèle économique ?
Olivier Roset : Non, elle nous a plutôt confortés sur nos fondamentaux, comme le fait de fabriquer en France, et de proposer à nos clients toute une palette de services pour les guider dans leur choix afin qu’ils soient satisfaits de leur achat. Nous subissons actuellement une crise de croissance qui a aussi mis l’accent sur les points que nous devons améliorer dans l’ensemble de nos process. Alors que notre industrie était un peu entrée dans un faux rythme avant la pandémie, le soutien de nos clients nous a galvanisé et nous a donné un souffle nouveau et de nouveaux objectifs de croissance.
[Propos recueillis par F. S.]
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[Zooms]
Groupe Roset : les chiffres clés
> Site industriel : 155 000 m² à Briord (Ain)
> 750 salariés
> 850 points de vente en France et à l’international
> 250 M€ de ventes (exercice 2019 / 2020)
École de formation au métier de tapissier : un projet ancré sur son territoire
Afin de répondre à ses difficultés pour recruter des personnes formées au métier de tapissier d’ameublement, le Groupe Roset a décidé de créer sa propre école de Formation interne, en partenariat avec Pôle Emploi, et le centre de formation aux métiers de l’Ameublement AFPIA Est-Nord située à Liffol-le-Grand (Vosges). Le rôle dévolu à Pôle Emploi consiste à assurer la sélection des candidats en utilisant la Méthode de Recrutement par Simulation (MRS) – en testant notamment leur dextérité manuelle – et à indemniser les stagiaires pendant leur formation. La Région Auvergne-Rhône-Alpes apporte un soutien financier au projet, à hauteur de 80 % par le biais du Contrat d’Aide et de Retour à l’Emploi Durable (CARED). Quant à l’AFPIA Est-Nord, elle met à disposition les formateurs, et valide le CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) de Garnisseur d’Ameublement, attribué à l’issue de 224 heures de formation.
La première promotion de cette école de formation, qui vient tout juste de voir le jour, comprend six stagiaires – un nombre qui sera revu à la hausse en fonction des besoins – qui vont effectuer 644 heures de formation dont 224 heures de formation générale et 420 heures de formation aux produits du catalogue. De son côté, le Groupe Roset investit dans les outils techniques nécessaires à la formation et garantit aux stagiaires un emploi de tapissier en CDI, une fois leur CQP obtenu. Une seconde école de formation en couture devrait voir le jour sur le même modèle fin 2021 ou au début 2022.