[Marché du meuble] 2023, année d’incertitudes… et d’opportunités ?
Suivant un exercice 2022 devant se clôturer, selon les prévisions ajustées de l’IPEA, sur une légère croissance comprise entre + 1 % et + 3 % par rapport à 2021, l’année que nous venons d’entamer promet d’être sous tension pour le marché du meuble. Hausse des coûts généralisée, arbitrages budgétaires contraints pour les ménages – ayant déjà, par ailleurs, fortement équipé leur habitat au sortir de la crise sanitaire -, difficultés dans l’immobilier neuf… Les perturbations sont (et seront) nombreuses. Face à cela, l’enjeu principal, pour les acteurs du secteur, sera le maintien du trafic magasin. Plus globalement, une communication efficace s’imposera comme le meilleur moyen de profiter de toutes les retombées inhérentes au fameux concept de « maison refuge », qui pourrait bien être toujours – et plus-que-jamais ! – d’actualité en ces temps bouleversés.
C’est, chaque année, une matinée très riche d’enseignements que propose l’IPEA / Institut de la Maison au début du mois de décembre, avec son colloque « Perspectives Meuble et Maison ». L’édition 2023, organisée il y a un peu plus d’un mois à Paris, n’a pas dérogé à la règle… avec, sans doute, une teneur particulière, étant donné le contexte actuel, qui suscite de nombreuses interrogations chez les acteurs de la profession. Si ce temps d’échanges permet, en effet, de revenir sur les derniers mois écoulés, il est surtout l’occasion d’appréhender l’année à venir, d’en lister les enjeux, les problématiques, et les stratégies à adopter pour « naviguer entre les écueils ». Car pour 2023, il s’agira bien de cela !
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Le « retournement du marché » en 2022
Au 8 décembre dernier, date du colloque, l’Institut disposait des chiffres du mois d’octobre précédent, ce qui lui permettait de faire un cumul sur dix mois, et ainsi d’ajuster encore plus précisément l’atterrissage final attendu pour 2022… qui sera d’ailleurs officiellement livré le 9 mars prochain, à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse proposée par les organisations du secteur (Ameublement français / CNEF / IPEA).
Avec, donc, un mois d’octobre 2022 à + 1,2 %, le cumul janv > oct affiche + 1,7 % par rapport à la même période en 2021. Si le fort rattrapage constaté en avril (+ 89,3 %) permet, en partie, au marché d’afficher cette légère progression cumulée, il faut se rendre à l’évidence que les autres raisons sont extérieures au marché du meuble : « Cette croissance est en trompe-l’œil, avance en effet Stéphane Larue, puisqu’elle est la simple résultante de la hausse des prix par rapport à l’exercice précédent ». Le directeur des études de l’IPEA rappelle que l’INSEE fait état, en effet, d’un indice des prix à la consommation augmenté de + 1 % (oct 2022 vs sept 2022) et de + 6 ,2 % (oct 2022 vs oct 2021). Il apparaît aussi que, toujours selon l’Institut de la statistique, le prix des meubles progresse plus vite que celui des produits manufacturés et de l’équipement du foyer…
Notons, parallèlement, que le marché du meuble garde toutefois une avance plus importante sur ses performances d’octobre 2019 (dernière année de référence, juste avant la crise), avec une progression de + 14,1 % (oct 2022 vs oct 2019, donc). Même constat pour le cumul, avec dix premiers mois 2022 en croissance de + 10,2 % par rapport aux dix premiers mois 2019 (une variation évidemment conditionnée, elle aussi, par l’inflation actuelle).
C’est, ainsi, une évolution mitigée que devrait afficher notre marché sur l’ensemble de 2022, comprise entre + 1 % et + 3 %, au vu de ce cumul ; malgré tout, à date d’octobre 2022, il semblerait qu’il soit justement le marché de l’équipement de la maison ayant le moins souffert, puisque le bricolage, l’électroménager et le matériel audio / vidéo affichent respectivement des baisses de – 1,4 %, – 6,1 % et – 5,4 % sur ces dix premiers mois, par rapport à la même période en 2021 !
Jardin en tête, literie bonne dernière
Le bouleversement du marché du meuble, en 2022, se constate aussi sur les évolutions des différentes catégories de produits. Songeons que, selon les prévisions de l’IPEA élaborées à partir du cumul des dix premiers mois, la famille qui devrait afficher la meilleure progression sur la totalité de l’exercice est le mobilier de jardin, avec une croissance attendue comprise entre + 5 % et + 7 % par rapport à 2021 ! « Un mouvement logique, couplé à une augmentation des prix qui touche bien sûr tous les segments » commente le directeur des études. En seconde position, le meublant devrait terminer 2022 avec une hausse située entre + 2 % et + 5 % : « Voici une catégorie qui n’est pas habituée à se trouver en aussi bonne position » constate Stéphane Larue, attribuant une bonne partie de cette évolution favorable au rattrapage opéré par les enseignes – essentiellement de grande distribution – qui avaient été contraintes de fermer les portes de leurs magasins au printemps 2021. « Au sein de cette progression, soulignons les bonnes performances du mobilier de bureau, et la chambre se comporte mieux que le salon » précise Stéphane Larue. Le meuble de salle de bains arrive en troisième place des progressions, avec une évolution a priori comprise entre + 1 % et + 4 % vs 2021 : là encore, il s’agit pour beaucoup d’un effet de rattrapage (celui des bainistes), qui tire la famille vers le haut… Au pied du podium se trouve la cuisine, dont l’évolution devrait être étale, ou au maximum à + 3 % : « Là encore, ceci est peu habituel, puisqu’il est rare que cette catégorie ne figure pas parmi celles en tête ! On peut expliquer cela par la frilosité dont font preuve les ménages, et par le fait qu’il s’agisse d’un produit souvent acheté à crédit… or les taux de ces derniers sont remontés » analyse le directeur d’études. Avant-dernière catégorie des évolutions 2022 : le rembourré, qui devrait afficher entre – 1 % et + 1 % vs 2021, impacté par les arbitrages des ménages, choisissant de se tourner vers la grande distribution – et donc des produits moins chers – lorsqu’ils doivent s’équiper. Enfin, une fois n’est pas coutume, la literie arrive au dernier rang, avec une évolution normalement comprise entre – 2 % et + 1 % sur l’ensemble de l’année, selon les prévisions de l’IPEA. « Cette catégorie a été le moteur du marché du meuble durant une bonne dizaine d’années, et il semblerait que cela se tasse, désormais. Les ménages investissent maintenant dans d’autres pièces d’équipement de la maison, sur lesquelles ils ne s’étaient pas encore concentrés » explique Stéphane Larue, soulignant néanmoins – sous le contrôle du consultant literie de l’IPEA Eric Mandinaud – l’augmentation du panier moyen literie constatée en 2021 et 2022, avec notamment un plébiscite, toujours d’actualité, des grandes tailles.
En marge du meuble, le secteur de la décoration devrait afficher une belle progression en 2022, de l’ordre de + 5 %, avec une mention spéciale pour les arts de la table (+ 9 %).
La grande distribution profite des conditions
Du côté des circuits, c’est bel et bien la grande distribution ameublement qui devrait caracoler en tête des progressions sur l’ensemble de 2022, avec une variation attendue de + 5 % à + 8 % vs 2021 : c’est ici un effet du rattrapage (par rapport aux fermetures de magasins imposées l’année précédente) déjà évoqué, mais aussi une conséquence de la redirection des ménages vers ces enseignes, dans l’optique de dépenser moins pour l’équipement de leur maison. « Nous ne sommes plus dans une volonté de monter en gamme, à l’inverse de ce que nous avions pu voir au sortir des confinements » avance Stéphane Larue. Ainsi, suivant cette tendance, les spécialistes devraient accuser le coup en 2022, avec une évolution comprise entre – 1 % et + 2 % : la tendance reste tout de même bonne, d’autant que par rapport à 2019, la croissance serait, en revanche, de + 22 % à + 25 % ! Suivant les GSB (entre – 2 % et + 1 % attendus pour elles en 2022), l’ameublement milieu / haut-de-gamme serait impacté de la même manière que les spécialistes (avec le détournement des consommateurs), ce qui pourrait bien les inscrire dans le rouge ou, au mieux, sur un exercice étale (de – 3 % à 0 % attendus en 2022 vs 2021) ; par rapport à 2019, la variation serait, elle, de + 9 % à + 12 %, ce qui reste satisfaisant. Enfin, très logiquement – après avoir vécu des exercices post-crise hors-normes – l’e-commerce (pure-players uniquement) observerait un très fort recul en 2022, compris entre – 8 % et – 11 %.
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« Pas forcément les meilleures conditions », mais…
Au regard de tous les chiffres cumulés janv > oct 2022, l’IPEA table donc, pour cet exercice 2022, sur une variation globale, pour le marché du meuble, comprise entre + 1 % et + 3 % : une faible croissance du chiffre d’affaires pour le secteur, mais une croissance tout de même, qui est donc assurée… « Pour finir l’exercice au moins étale par rapport à 2021, il aurait fallu que le marché chute en moyenne de 9 % sur les deux derniers mois de l’année, ce qui paraît peu probable au vu de ses résultats depuis la rentrée, et des hausses de prix mises en place sur la période… et cela même si les arbitrages des ménages se renforcent » estime en effet l’Institut.
Si les résultats définitifs de novembre, décembre 2022 et donc de l’exercice entier seront bientôt connus, l’IPEA s’essaie d’ores-et-déjà à une première prévision globale pour la nouvelle année désormais entamée… considérant avant tout les nombreuses tensions qui séviront les prochains mois.
Ces tensions impactant directement notre secteur, quelles sont-elles ? En premier lieu, l’inflation se poursuit, la Banque de France prévoyant même un rythme de 6 % en moyenne en 2023, comparable à celui de 2022 (avec toutefois un profil en glissement annuel très différent, avec un pic au premier semestre 2023, suivi d’une nette décrue, pour s’établir plutôt à 4 % en fin d’année). Autre facteur déterminant : les difficultés que continuera de connaître l’immobilier neuf qui, en 2022, a déjà accusé une chute de près de 30 % des ventes de maisons individuelles, et de 22 % des permis de construire délivrés. Le pouvoir d’achat des ménages français est toujours en baisse, et le mouvement ne devrait pas se stabiliser de sitôt, avec la croissance des prix de l’énergie et des dépenses du quotidien, insuffisamment compensée par l’évolution générale des salaires… Face à cela, « le meuble va être coincé dans les arbitrages » – pour reprendre la formule de l’IPEA -, tandis que les importations chinoises et asiatiques s’accélèrent. Enfin, l’incertitude plane sur le mouvement de montée en gamme observé au sortir des confinements, qui semblerait déjà s’être significativement tassé comme évoqué plus haut.
… des intentions d’équipement qui subsistent
Pour autant, le tableau n’est pas entièrement noir, puisque quelques opportunités subsistent pour les acteurs de l’équipement de la maison. En premier lieu, les intentions d’achats se maintiennent à un certain niveau : le baromètre mensuel de l’IPEA s’intéressant à ce sujet montre, en effet, qu’en novembre 2022 (dernière version disponible au moment du colloque), 48,8 % des sondés avaient l’intention d’acheter des produits meuble ou déco dans les trois prochains mois… Une proportion globalement semblable à celles enregistrées, chaque mois, depuis mars dernier. Dans le détail de ces projets d’achats (sur la période décembre 2022 > février 2023 donc), le canapé reste en tête, suivi, pour le podium, de l’étagère / bibliothèque et du sommier / matelas. La cuisine, en revanche, arrive peu avant la toute fin du classement, ce qui est très certainement là encore un signe de la frilosité des consommateurs – évoquée plus haut – quant à ce type d’achat… Du côté de la décoration, le linge de lit et le luminaire dominent dans les intentions sur cette période.
Ajoutons, à ces intentions globalement toujours bien orientées, les conditions de l’immobilier ancien, sensiblement meilleures que celles du neuf ; reste à voir comment celles-ci évolueront au fil de cette année tout juste entamée, étant notamment impactées par les hausses des taux de crédit, déjà qualifiées de « record » par certains en ce mois de janvier 2023.
Trafic, communication…
Prenant en compte tous ces paramètres, l’IPEA ose évoquer, à ce jour, un repli probable de – 5 % pour le marché du meuble en 2023 : cette fois, la literie serait le segment à souffrir le moins, avec « seulement » – 2 %… Le meublant et le rembourré, en revanche, pourraient bien accuser les pires baisses, avec – 6 % pour chacune de ces familles sur l’ensemble de l’année 2023. La cuisine, avec – 5 % attendus, creuserait sa tendance défavorable de 2022 : « Durant la crise sanitaire, les gens se sont équipés rapidement, car ils avaient un besoin urgent d’une fonction cuisine. Or, ces consommateurs, nous ne les reverrons évidemment pas de sitôt » avance Christophe Gazel, directeur général de l’Institut.
Evidemment, ces données ont vocation à être affinées chaque mois, au fur-et-à-mesure que nous avançons dans l’année ; mais de telles estimations sont réellement symboliques des tensions importantes que devra vivre notre marché sur les douze prochains mois… Quels enjeux, ainsi, se présentent aux acteurs pour limiter la casse ? Dans la conclusion de cette analyse marché, le directeur de l’Institut est très clair : « Globalement, le défi de cette année est celui du trafic. Malgré les nombreuses turbulences, nous voyons que les intentions d’achats en équipement de la maison se maintiennent, et plus généralement, nous pouvons toujours compter sur cette fameuse notion de « maison – refuge », d’autant plus par les temps qui courent ». Voici donc un « créneau » à saisir, pourvu d’adopter une communication solide : il s’agit, en effet, de continuer d’exister et de se mettre en avant, auprès d’un consommateur qui sera sous pression et systématiquement contraint d’arbitrer… tout en étant tenté de se replier chez lui, dans un intérieur confortable !