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26.5.2023

[Enquête literie] Maintenir le cap, dans un contexte inédit

Fait « remarquable » en 2022 : comme en 2020, la literie figurait au bas du classement des progressions par famille du marché du meuble avec, pour le dernier exercice, un maintien, à peine atteint, de son chiffre d’affaires (- 0,3 %). Evidemment, au même titre que les autres familles, l’évolution valeur est bien différente de l’évolution volume en raison de l’inflation persistante, et ce décalage est toujours d’actualité au premier trimestre 2023, même si celui-ci renoue avec la croissance valeur. L’année en cours est riche d’enjeux, mais aussi d’inconnues : le défi principal est toujours d’attirer le consommateur en magasin, et d’élever le panier pour compenser ce manque de trafic ; une situation qui pourrait bien être installée encore longtemps, étant donné l’incertitude du climat social et les avis partagés quant à l’évolution de l’inflation au cours des prochains mois. Pour se recentrer sur la literie, et plus particulièrement sa distribution, les mutations vécues par le plus gros acteur spécialiste, ajoutées aux conséquences, que l’on peut encore sans doute encore attendre à ce jour, du rapprochement – scellé il y a tout juste un an – des deux enseignes de la grande distribution, et de la « relance » de l’un des deux, suscitent la curiosité du marché. Parallèlement, on constate toujours un beau dynamisme dans le secteur, de la part de fabricants et d’enseignes ayant opté pour des actions fortes face à la morosité ambiante…

Pour rappel, le marché du meuble a enregistré, en 2022, une croissance limitée de + 2 %, traduisant, étant donné l’inflation, une baisse des volumes. Avec 1,86 milliard d’euros de chiffre d’affaires, représentant 12,5 % de ce marché du meuble global, la literie a été, sur ce même exercice, au dernier rang des progressions parmi les familles du meuble, enregistrant même la seule variation négative, à – 0,3 %, et ce en dépit, là aussi, des prix de vente considérablement augmentés ; par rapport à 2019, toujours considérée comme la dernière année de référence puisque juste avant le début de la crise sanitaire, la variation s’inscrit dans le vert, mais en étant de « seulement » + 4,2 % : elle est à relativiser, ici encore, car n’étant pas révélatrice de la même croissance en nombre de produits vendus.

Une famille chahutée depuis 3 ans

Evidemment, au vu, justement, du contexte, ces évolutions auraient pu être bien pires. Mais comme en 2020, la literie a donc été la famille ayant le plus souffert ; et même si, en 2021, ce secteur a pu générer une hausse de + 12,8 %, force est de constater que, depuis la fin du premier confinement, il peine à redécoller franchement… après avoir été le « moteur » du meuble durant plus d’une décennie. « Depuis 2020, les arbitrages de dépenses des ménages, en ce qui concerne leur mobilier, se font au détriment de la literie, et priorité a été donnée au reste de la maison suite à la pandémie, par des ménages qui souhaitaient améliorer le confort de leur habitat dans son ensemble, et non simplement leur literie » peut-on lire dans le Meubloscope 2023 de l’IPEA / Institut de la Maison. Autre facteur : la literie est toujours (traditionnellement) très animée par les opérations promotionnelles, ce qui vient se cumuler à la chute des volumes : « Chez certains acteurs, c’est la vente « à tout prix » qui domine. Plus le contexte est tendu, moins la montée en gamme est facile, car autant ne pas laisser passer les chances de vendre » constate Eric Mandinaud, consultant literie de l’IPEA. Conséquence : là encore, ces rabais pèsent significativement sur le chiffre d’affaires de la famille literie, et il ne s’agit pas, ici, uniquement de la grande distribution. « En 2022, certains spécialistes auront maintenu un rythme soutenu de réductions et promotions tout au long de l’année, afin de conserver un certain trafic en magasin » rapporte le Meubloscope 2023.

Pour autant, des facteurs positifs persistent, ou se développent, au fil des exercices, et c’est sans doute en (petite) partie grâce à eux que le repli de 2022, somme toute, a été limité : on peut évoquer, notamment, le plébiscite des grandes tailles – les matelas de 160 cm sont passés de 37 % des ventes en valeur du produit en 2019 à 41 % en 2021, toujours selon l’IPEA – et la belle présence des offres de leasing (sans doute davantage que dans d’autres familles du meuble) pour accroître les paniers moyens : même la grande distribution – But, en l’occurrence – vient de mettre en place un dispositif de location longue durée [voir plus bas].

Stand Grand Litier, EspritMeuble 2022

Quid du 1er trimestre 2023 ?

Au terme de cette année 2022 mitigée, un nouvel exercice a repris, et alors que le premier trimestre de l’année dernière avait dégagé un cumul aux alentours de – 5 %, le T1 2023 s’est clôturé sur une croissance dépassant légèrement les + 3 %. « La tendance est donc positive, mais nous ne revenons pas, en valeur, sur l’historique » commente Eric Mandinaud. Soit. Malgré tout, une telle évolution a au moins l’avantage de marquer une rupture, pour l’instant, avec l’exercice précédent, et donc de faire regagner (un peu) d’optimisme aux acteurs. « Nous avons réalisé un bon premier trimestre, avec un carnet de commandes qui ne désemplit pas depuis janvier dernier » avance Frédéric Binay, directeur commercial et marketing du groupe Matfa. Toujours chez les fabricants, Luis Flaquer, directeur général du groupe COFEL, annonce une « très légère progression, en chiffre d’affaires, sur le premier quadrimestre » avec, cependant, « une baisse en quantité ». Du côté du Sommeil Français, le début d’année a été bon, notamment avec des soldes satisfaisants, suivis d’un retour à une fréquentation plus calme dans les magasins. « En outre, nous avons fait un excellent salon EspritMeuble [en novembre dernier, ndlr], ce qui a ensuite coïncidé avec des livraisons en février / mars. Cela a largement contribué à la bonne tendance de notre premier trimestre 2023 » précise Patrick Réguillon, directeur général. Chez les distributeurs, à en croire Michel Crespi, le dirigeant de la Halle au Sommeil, ces premiers mois de 2023 ont été relativement bons, en dépit d’un trafic amoindri, mais en évoquant une hausse des paniers et « moins de curieux » – autrement dit une transformation améliorée. Chez Grand Litier, Wolf Stolpner annonce une croissance à deux chiffres en cumul à fin mars, jugée toutefois quelque peu « artificielle » pour la simple et bonne raison que la quasi-totalité des magasins du réseau étaient, sur cette période, en opération de liquidation nationale, en prévision des travaux à effectuer pour la mise en place du nouveau concept magasin découvert lors du congrès 2022. « Je pense même que cette croissance aurait été encore plus marquée si la fréquentation s’était montrée « normale », estime le président de l’enseigne.

Autre différence par rapport au premier trimestre 2022 : le ralentissement, voire la stabilisation des prix des matières (excepté pour quelques-unes). En revanche, cette stagnation se fait à des niveaux qui demeurent néanmoins bien plus élevés qu’avant la crise : « Nous constatons que le coût moyen pondéré des matières a augmenté de 30 % entre janvier 2020 et mars 2023 » avance Luis Flaquer (COFEL). Et les coûts de production sont impactés, désormais, par ceux de l’énergie et de la main d’œuvre. Aussi, si les dernières hausses, du côté des fabricants, ont été passées il y a plusieurs semaines voire plusieurs mois – ne couvrant pas, comme on peut l’imaginer, la totalité des surcoûts engendrés à la production – la vigilance reste, plus-que-jamais, de mise. Et dans tous les cas, cet exercice 2023, et même le suivant, servira sans doute à reconstituer, au maximum, les marges réellement mises à mal jusqu’alors.

Stand Technilat (Le Sommeil Français), EspritMeuble 2022

Le cœur de marché davantage à la peine… Un « salut » par la diversification ?

Au sein de cette tendance générale des premiers mois de 2023, les conditions sont inégales selon les niveaux de gamme. « On remarque que le cœur de marché souffre particulièrement » avance Frédéric Binay. Les segments intermédiaires sont en effet les plus touchés par les tensions sévissant sur le pouvoir d’achat… « En étant généraliste, le groupe Matfa couvre tous les quartiles, et peut répondre à toutes les aspirations des clients B to B et consommateurs finaux » poursuit le directeur commercial. En outre, les labels Origine France Garantie et Entreprise du Patrimoine Vivant permettent d’ « afficher un certain niveau de qualité et de garanties même sur l’appel du marché, ce qui répond aux attentes du consommateur ». Frédéric Binay conclut : « A mon sens, il faut jouer la carte de la diversification. Le fait d’être trop spécialisé sur un quartile donné, sur un type de distribution, peut être difficile par les temps qui courent ». Chez Le Sommeil Français, l’éventail de gammes permet aussi de déjouer les tensions actuelles : « Nous nous assurons un certain volant d’affaires avec le haut-de-gamme Technilat, les produits se vendent très bien, développe Patrick Réguillon. De l’autre côté, nous savons capter du volume sur des prix plus bas, où les opérations fonctionnent bien. C’est une stratégie particulièrement adaptée par les temps qui courent ». Du côté de La Halle au Sommeil, l’on se félicite de l’ouverture vers les segments supérieurs : « Cette stratégie, et donc notre offre désormais composée de « discount » / « famille » / « excellence » fonctionne plutôt bien. Je pense que lorsque l’on part du bas du marché, il est plus facile de monter » avance Michel Crespi, qui avoue néanmoins continuer d’ « aimer faire du volume » sur les gammes inférieures, car « lorsque les acheteurs n’ont qu’un budget limité, il est toujours bien d’en profiter ». Enfin, le fait que l’enseigne de grande distribution But choisisse de proposer une offre de LLD [voir plus bas] traduit en partie, là encore, une volonté de diversification par l’élargissement des quartiles que couvre son offre.        

Les acteurs font face aux défis

Toutes ces mutations, tous ces facteurs, qu’ils soient conjoncturels, structurels, endogènes ou exogènes posent au secteur de la literie, et donc à ses fabricants et industriels, de véritables défis. Lors du dernier colloque IPEA / Institut de la Maison, organisé en décembre 2022, Christophe Gazel avait prévenu : « Le trafic dans les magasins, et donc la communication auprès du consommateur, seront primordiaux pour tirer son épingle du jeu en 2023 ». L’idée est donc d’interpeller – voire de frapper fort – mais, au moins, d’être présent aux yeux du client final, pour avoir une chance de l’attirer en point de vente et de transformer l’essai. Cela est précisément la mission première du collectif Parlons Literie, qui réunit désormais près de 45 membres, et a défini un solide plan d’actions pour cette année : relations presse, campagnes digitales, réseaux sociaux, site internet richement alimenté… « Nous avons également pour projet de mettre en valeur le savoir-faire des adhérents » précise François Duparc, son dirigeant. Le travail d’un sujet crucial – le financement, en l’occurrence – et la restitution d’une étude sur le parcours client, à l’occasion de la prochaine réunion, calée en septembre, sont également à l’ordre du jour. En bref, le collectif est en ébullition, avec un mot d’ordre : parler de la literie – et de tous les enjeux de santé qui y sont rattachés – au consommateur final ! Car la communication, comme le soulignait donc Christophe Gazel, est plus-que-jamais indispensable lorsque la conjoncture est tendue, et cela, beaucoup l’ont compris : certains optent pour des campagnes d’affichage prestigieuses au cœur de Paris (Tréca, André Renault en façade du grand magasin BHV), d’autres font le choix d’annoncer dans des magazines de décoration grand public ciblés et reconnus, à l’image de Technilat. Du côté de la distribution, France Literie a tout récemment fait des annonces de taille : s’appuyant sur l’image de la célèbre Adriana Karembeu pour représenter sa collection haut-de-gamme Haute-Couture, le réseau dévoile une nouvelle version, très aboutie, de son Espace Prestige afin de mettre toutes les chances de son côté pour augmenter le panier moyen, mais aussi conquérir une nouvelle clientèle. Le concept magasin, en effet, fait partie de ces éléments déterminants : d’ici quelques mois, environ 90 % du réseau Grand Litier devraient avoir fini d’adopter les nouveaux aménagements, particulièrement qualitatifs, découverts dans le point de vente de Bègles en 2022. Face à la diminution du trafic, le taux de transformation apparaît crucial, tout comme la hausse des paniers, et c’est l’une des raisons pour laquelle l’acteur de grande distribution But s’engouffre sur la voie de la Location Longue Durée, un dispositif qu’il a présenté en mars dernier lors de sa convention : il s’agit, également, de répondre aux usages émergents appliqués au meuble, mais aussi à la literie (la fonctionnalité plutôt que la possession) et de pallier les effets de l’inflation en offrant aux consommateurs la possibilité de se doter d’un équipement plus haut en gamme…

Ainsi, si certains investissements ont pu se trouver freinés à cause des conditions du marché, ils n’en demeurent pas moins indispensables, justement, par les temps qui courent : outre, par exemple, les belles opérations de communication évoquées plus haut, ces financements servent, pour les fabricants, à optimiser leurs outils afin de faire face aux nouveaux défis posés par la conjoncture. Au sein du groupe Matfa, de beaux investissements ont été faits en 2022, et se poursuivent cette année, afin d’homogénéiser la structure et l’articulation des deux sites : dans cette optique, Mortagne-sur-Sèvre a été agrandi (3 000 m² en plus), pour accueillir de nouvelles machines de piquage, construire un entrepôt destiné à stocker les matières, élargir le showroom, créer un espace client… De nouveaux camions sont également venus renforcer la flotte. « La conjoncture ne nous a pas freinés dans nos investissements. C’est, au contraire, dans un tel contexte que nous pouvons gagner des parts de marché, en soignant notre créativité… Le service et la qualité des produits sont le nerf de la guerre ! L’enjeu est d’être créatif et novateur. Et ce, même sur l’appel du marché, où il faut miser sur le confort et l’innovation » argumente Frédéric Binay. Chez COFEL, si les investissements vont être « modérés » cette année, l’usine Bultex de Noyen-sur-Sarthe a fait l’objet d’une belle expansion en 2022.

De tels investissements peuvent également servir, en partie, à consolider une stratégie RSE, car là est un autre enjeu actuel, et non des moindres : en ces temps tourmentés, le consommateur témoigne d’un intérêt toujours plus grand pour ces critères sociaux et environnementaux au moment de son achat de literie… Chez Matfa, le sujet est crucial : « Nous sommes en train de négocier un gros virage RSE, annonce Frédéric Binay. Notre collection « Conscience », 100 % recyclable, va sortir d’ici quelques semaines ». L’entreprise tire aussi profit, comme évoqué plus haut, de ses labels OFG et EPV. L’origine des produits, en effet, est un argument de choix, en témoigne Patrick Réguillon (Le Sommeil Français) : « Concernant Biotex, nous bénéficions incontestablement de notre statut d’industriel français, puisque nous sommes les seuls fabricants d’oreiller à mousse à mémoire de l’Hexagone ».

Aperçu de l’Espace Prestige France Literie

Quelles perspectives ?

La literie, après avoir été le moteur du marché durant dix ans, connaît donc désormais, depuis trois années, une croissance très ralentie, voire un repli selon les exercices. Et on l’aura bien compris, les augmentations de CA, quand elles sont là, ne correspondent pas à celles des volumes. Cette situation pourrait bien persister durant toute la durée de l’inflation, dont l’issue divise encore les économistes. Cette inflation qui, d’autre part, contraint les ménages à arbitrer leurs dépenses, d’autant qu’ils ont investi massivement dans l’équipement de leur habitat lorsque les pressions engendrées par la crise sanitaire se sont assouplies. Ainsi, la literie se trouve-t-elle au creux d’une vague – ce qui suppose que le marché pourrait redémarrer à moyen terme – ou bien ces exercices en demi-teinte vont-ils s’enchaîner durablement ? Difficile, à ce jour, de le prévoir, tant la situation est due à une conjugaison de plusieurs facteurs, internes ou externes au marché. Malgré tout, pour reprendre la formule simple – et véritablement optimiste ! – utilisée par Michel Crespi, « les gens auront toujours besoin de dormir, donc de s’équiper ». Luis Flaquer (COFEL) continue à penser, de son côté, que « l’importance du bien-dormir, la sensibilité vis-à-vis de cette question cruciale, va prévaloir » ; le groupe peut d’ailleurs compter, également, sur le beau redémarrage du segment de l’hôtellerie – une autre belle perspective pour les fabricants qui y sont présents – sur lequel il a réalisé une croissance à deux chiffres l’année dernière, et qui continue cette année… A plus long terme, l’évolution démographique de la société française, sur laquelle l’IPEA prépare d’ailleurs un dossier de taille, offrira logiquement de belles opportunités au marché : « Songez qu’il y a vingt ans, il y avait un peu plus d’un million de ménages monoparentaux, avance Eric Mandinaud. Aujourd’hui, ce sont trois millions ». Il y a – et aura – donc des besoins d’équipements, même si beaucoup se feront, par contrainte, à petits prix… Enfin, concernant le panorama de la distribution, si le circuit des spécialistes a enregistré la meilleure progression sur le marché de la literie en 2022 (avec toutefois des résultats disparates d’une enseigne à l’autre), le marché surveille de près, actuellement, l’évolution du plus gros distributeur de ce circuit en question, repris en fin d’année dernière… De la même manière, la grande distribution – qui a elle aussi tiré son épingle du jeu en 2022, en maintenant ses ventes – fait preuve d’un beau dynamisme avec, notamment, le lancement de la LLD chez l’un de ses acteurs principaux, qui veut donc se donner les chances, entre autres, d’augmenter les paniers ; malgré tout, la teneur de la « relance » d’une autre enseigne de ce circuit, dont nous ne connaissons pas encore réellement les détails, pourrait bien aussi perturber le marché. L’avenir nous le dira.

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[Zoom]

IPEA : le Marché de la Literie en France, édition 2023, est disponible !

La toute dernière édition de l’étude sur le marché de la literie dans l’Hexagone, portant sur la période 2020 > 2022, est proposée par l’IPEA / Institut de la Maison depuis le mois de mars. Le document, très complet, comporte des données cruciales sur toutes les catégories de produits qui composent le marché (matelas / ensembles avec sommiers / cadres à lattes / TPR / coffres / surmatelas / têtes et pieds de lit…) Plusieurs éléments majeurs sont passés au crible, pour la bonne compréhension du marché (valeurs, unités, prix moyens, circuits, saisonnalités, etc.) Une mine d’informations, qui peut être commandée sur le site de l’Institut.

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