Éco-conception, deuxième vie : cap sur la fabrication responsable !
Si cela est un sujet récurrent depuis des années, dont chacun est maintenant convaincu qu’il s’agit d’une nécessité, la mise en place de modèles de production plus vertueux pour l’environnement est un chantier de longue haleine, qui exige une transformation en profondeur de l’activité industrielle. Cependant, comme le montrent les exemples de notre dossier, les initiatives se multiplient dans ce sens… Autrement dit, les lignes bougent sur le front de la fabrication responsable.
Réduire les ponctions effectuées sur les ressources naturelles, sa consommation d’énergie ou encore son empreinte carbone, sont devenus des enjeux à long terme pour les entreprises industrielles dans leur ensemble, et notamment pour les fabricants de meubles. Pour réussir cette transformation, les leviers sont maintenant connus : il s’agit de l’éco-conception, en utilisant des matériaux alternatifs moins impactants ou recyclés, du réemploi et de la réparabilité, qui permettent d’allonger la durée de vie des produits, ou de leur en donner une deuxième dans le cadre de l’économie circulaire. Pour que notre secteur soit aligné avec les objectifs de la France – une réduction de 43 % des gaz à effet de serre produits à l’horizon 2030, puis neutralité carbone en 2050 – il doit, dans son ensemble, se mobiliser collectivement. L’Ameublement français en a fait l’un de ses chantiers structurants, et propose depuis bientôt deux ans un programme d’accompagnement personnalisé pour les entreprises. Mais si, au lieu d’être vue comme une « réduction » permanente dans tous les domaines, cette démarche était l’occasion au contraire de donner une nouvelle valeur ajoutée aux meubles, à la croisée de la création et de la responsabilité sociétale ? Voici quelques exemples qui montrent que cette « greffe » est en train de prendre petit à petit.
Éco-conception et transparence
Enseigne pionnière dans la RSE, via l’éco-conception et le made in France notamment pour ses produits Camif Edition, la Camif a organisé le 12 octobre dernier au Maif Social Club à Paris, l’espace d’exposition de sa maison mère la Maif, la présentation d’une dizaine de produits éco-conçus ayant fait l’objet d’une ACV (analyse du cycle de vie, une méthode de calcul qui permet de définir l’empreinte environnementale d’un produit sur l’ensemble de sa chaîne de valeur). Objectif de cette démarche ? Montrer par des exemples précis, le gap qui existe entre l’impact carbone d’un produit éco-conçu fabriqué en France, et celui d’un produit de dimensions équivalentes fabriqué en Chine. A titre d’exemple, le matelas Timothée, fabriqué par Camif en France avec des matières en partie recyclées affiche un bilan de 228,8 kg/CO2éq, contre 415,5 kg/CO2éq pour le même matelas fabriqué en Chine sans matière recyclée, soit une différence de – 45 % de CO2 en faveur du matelas Camif (liés notamment au bilan carbone du transport et des matériaux). « Ce premier bilan carbone a conforté notre stratégie afin de réduire nos émissions carbone. C’est un bon point de départ afin de prendre conscience des émissions principales de l’entreprise et des améliorations entrainées par les actions déjà mises en place. L’une des actions phare dans notre stratégie de réduction est de structurer notre démarche d’écoconception déjà en œuvre depuis des années en y couplant l’analyse du cycle de vie (ACV) pour évaluer leur empreinte carbone réelle », déclare Émery Jacquillat, président de Camif. De même, l’empreinte carbone du canapé Olivier est de – 41% de C02 versus une fabrication en Chine sans matière recyclée, celle du meuble TV Célia de – 52 % par rapport à son équivalent chinois, etc. Pour l’entreprise, il s’agit d’une étape supplémentaire en faveur des circuits courts, puisqu’elle a renoncé aux produits importés hors d’Europe. Fidèle à son ADN d’entreprise à mission, Camif joue aussi la carte de la transparence, puisque ces ACV sont consultables en ligne sur son site, dans l’optique d’augmenter l’information du consommateur final pour l’inciter à des achats plus responsables. L’enseigne entend amplifier cette démarche, et ambitionne de réaliser une ACV sur 100 % de ses produits Camif et Camif Edition en 2025.
C’est aussi pour sa démarche d’éco-conception que Roche Bobois, grande griffe du mobilier design français, a été récemment distinguée. Le 11 octobre dernier, la marque-enseigne s’est en effet classée parmi les finalistes dans la catégorie « Préservation de l’environnement » lors de la cérémonie de remise des Trophées des Objectifs de Développement Durable (ODD) du Pacte mondial de l’ONU Réseau France 2023. Ce challenge a pour but de mettre en avant les entreprises qui prennent des initiatives innovantes pour contribuer à atteindre les objectifs de l’Agenda 2030. Le jury du concours a salué la démarche collaborative d’éco-conception de Roche Bobois, mise en œuvre dès 2006, qui implique l’ensemble des acteurs de la chaîne de développement et de fabrication. Pour pouvoir quantifer ses effets, l’entreprise a développé, en collaboration avec l’institut technologique FCBA (Forêt Cellulose Bois- construction Ameublement) la méthodologie d’évaluation ECO8, qui permet d’établir le degré d’éco-conception de chaque produit, en prenant en compte des critères liés aux quatre étapes fondamentales du cycle de vie des produits : matériaux utilisés, fabrication, usage et gestion de la fin de vie. Sur la base des données recueillies, une note de 1 à 4 est attribuée à chaque produit. Ceux qui obtiennent une note supérieure ou égale à 3 sont considérés comme éco-conçus et identifiés comme tels sur le site Internet et les catalogues. Pour la suite, Roche Bobois s’est fixé des objectifs environnementaux ambitieux : augmenter de 20 % chaque année la proportion de ses nouveaux produits éco-conçus et de ses achats en bois durable jusqu’à atteindre 100 % en 2025.
Etre responsable avec l’économie solidaire
Désireuse de réduire son impact sur l’environnement, la DNVB française Tikamoon a dans son ADN la volonté de fabriquer « des meubles qui durent toute la vie ». Pour s’en donner les moyens, elle propose des produits à 80 % fabriqués en bois massif, issu de forêts éco-certifiées, que l’on peut donc re-travailler, re-poncer et vernir, pour en augmenter la durée de vie. Elle a aussi mis en place un système d’éco-notation, qui labellise la performance environnementale du meuble à partir de six éco-critères : le bois massif, l’absence de matières composites, l’économie de la ressource maximisant la réutilisation des coupes, l’assemblage traditionnel, la réparabilité et le bois certifié FSC. En toute transparence, Tikamoon se fixe pour objectifs dès la fin 2023 d’utiliser 96 % de bois massif (contre 80 % actuellement), de proposer une garantie 10 ans (contre 5 ans actuellement), de descendre à 150 kg/CO2éq pour 1 000 € de CA (contre 187 kg/CO2éq) et d’utiliser 50 % de bois certifié FSC (contre 37 % actuellement). Mais pour actionner le levier « seconde vie », la marque va plus loin grâce à son atelier circulaire, qui fonctionne depuis plus de 15 ans en région lilloise. Sur ce site, un espace de revalorisation, d’échange et de co-construction, sont réceptionnés les meubles retournés par les clients, car malgré les efforts déployés, un petit nombre de produit reste endommagé lors du transport. Sur place, les équipes d’ébénistes évaluent les dommages, et veillent à ce que chaque meuble ait droit à une seconde vie, en passant par des étapes de réparation et remplacement de certains éléments, afin qu’ils soient vendus dans le magasin de seconde main Tikamoon situé en périphérie de Lille, non loin du siège social de la marque. 7 000 pièces sont ainsi réparées chaque année à l’atelier circulaire. L’entreprise donne par ailleurs plus de 6 000 meubles chaque année à Emmaüs Défi, une démarche à la fois environnementale et sociale, qui permet d’accompagner cette structure de l’économie solidaire dans le relogement des plus démunis. Les planches qui ne sont pas réutilisables dans ce schéma sont également données à des associations de réinsertion par l’activité.
Sur un mode un peu plus ludique, et fidèle à la créativité décalée qui la caractérise, Cinna a fait appel à l’Atelier Emmaüs, une autre entité de cet incontournable acteur de l’économie solidaire, pour imaginer avec lui et sous la houlette de la designer Ionna Vautrin, un jeu de trois statuettes au look espiègle, Kazuko, qui offrira une belle alternative, créative et solidaire, pour un cadeau de Noël. Le fabricant de mobilier s’est tourné vers cette structure-atelier implantée dans la région lyonnaise, à la fois menuiserie et école de formation aux métiers de l’ébénisterie et du design pour les personnes éloignées de l’emploi, pour lui proposer ses chutes en pin massif issu de ses usines, plutôt que de les mettre au rebut. Les trois partenaires ont ensuite imaginé et conçu ces trois statuettes qui peuvent servir de presse-papier, de serre-livre ou de bibelot décoratif. Ce cadeau qui a du sens sera disponible exclusivement dans les magasins Cinna, en trois coloris et tailles, pour la période qui précède Noël. C’est un schéma comparable qui a permis la création des collections de mobilier urbain upcyclées Re-Bau et Re-Néo. TF Urban (Tôlerie Forézienne) et Atelier Emmaüs se sont associés avec le studio Aurel design urbain, pour proposer des solutions d’aménagement de l’espace public et professionnel à la fois porteuses de sens, durables et socialement responsables. Les trois acteurs ont mis en œuvre un modèle qui intègre des matériaux de récupération, en l’occurrence des lames de parquet en chêne, provenant de la rénovation de bâtiments publics, qui sont transformées chez Atelier Emmaüs pour leur donner une seconde vie. Après transformation, ce bois upcyclé est associé aux structures de métal qui sont élaborées par le bureau d’études de TF Urban et réalisées dans ses ateliers, pour obtenir ces deux lignes de mobilier avec une forte valeur ajoutée de design. Pour évaluer leur démarche, les partenaires ont fait appel à Eco Impact, un organisme indépendant qui a analysé les produits à travers 71 critères – matières premières, transport, durabilité et recyclabilité, conditions de travail… – pour finalement leur accorder la très bonne note de B+. 10 fauteuils de la gamme Re-Bau correspondent à 50 kg de déchets évités, 10 banquettes de la gamme Re-Néo à 30 kg de déchets évités, et 20 pièces de mobilier fabriqués correspondent à une contribution sociale de 59 heures de formation à la menuiserie par des artisans apprenants de l’Atelier Emmaüs. « Cette collaboration ouvre la voie vers un changement de paradigme dans la manière dont nous concevons et fabriquons nos produits », conclut Joël Lemoine, directeur général de Tôlerie Forézienne.
[F. S.]
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[Zooms]
Re-paint, la solution responsable de Fermob
Comment augmenter encore la durée de vie d’un mobilier en métal déjà particulièrement robuste ? Pour le leader du mobilier outdoor français Fermob, la réponse s’appelle « Re-paint », un nouveau service proposé à ses clients depuis début 2023, en association avec son fournisseur de peinture depuis 30 ans, Axalta. Ce nouveau service permet aux clients de la marque de remplacer la couleur de leur mobilier au moment de changer leur décoration ou de déménager, tout en leur donnant un sacré coup de jeune, sans avoir pour autant à le remplacer par un produit neuf, synonyme de consommation de matériaux, et de production de gaz à effet de serre. Le concept Re-paint se traduit par un réseau d’une quarantaine de PME et TPE créé par Axalta, spécialistes du thermolaquage, réparties sur le territoire pour fonctionner en circuit court, et certifiées selon des critères liés à la qualité d’exécution et à la préservation de l’environnement. « Notre procédé de peinture en poudre est non toxique et sans solvant, et respecte l’environnement », précise Julien Marti, chef de produit Axalta Coatings France SAS, animateur du réseau Re-Paint. Plus de 160 produits Fermob peuvent ainsi être rénovés, grâce à une sélection de 15 couleurs exclusives. « Re-paint, c’est une nouvelle brique qui nous emmène encore plus loin en termes de responsabilité environnementale, conclut Bernard Reybier, président de Fermob. On peut désormais redonner à l’infini de la joie de vivre à nos produits qui sont conçus pour durer très, très longtemps. »
Lufe : un nouveau regard sur les meubles « imparfaits »
Le fabricant de mobilier en kit basque espagnol Lufe a organisé du 17 au 19 octobre dernier à Paris une opération décalée intitulée « meubles moches », pour mettre en vente à un prix défiant toute concurrence les meubles qui ont été renvoyés par ses clients en raison de leurs « défauts ». Le fabricant utilise en effet du pin massif, un matériau 100 % naturel qui présente des nœuds plus ou moins marqués, qui peuvent contrarier leur acquéreur. Après avoir testé avec succès cette formule en Espagne, et plutôt que d’orienter ces meubles « rejetés » vers le recyclage, le fabricant les a exposés dans un pop-up store situé dans le Marais, et invité les clients intéressés à l’inscrire pour un tirage au sort, qui a permis aux heureux gagnants de repartir avec… un meuble à 1 euro ! Une façon originale de faire évoluer les idées reçues sur l’esthétique d’un meuble… et de faire parler de la marque en France.