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Chaise longue Vallée blanche (1963).

8.4.2024

Collection Pierre Guariche par Cinna: une histoire de visionnaires

La marque du groupe Roset réédite, en ce début 2024, une vingtaine de pièces du créateur français emblématique des années 1950 à 1970 Pierre Guariche. Son œuvre est celle d’un visionnaire, qui a su innover pour répondre par anticipation aux attentes de son temps sur le plan fonctionnel, esthétique et industriel, une triple exigence qui est au cœur de l’ADN de Cinna. FRANCOIS SALANNE

C’est l’un des faits marquants de ce début d’année dans le monde du design. Cinna, marque du groupe Roset, réédite une importante collection d’une vingtaine de pièces de Pierre Guariche, un designer emblématique de la création française des années 1950 à 1970. « Pierre Guariche, ce sont des meubles, des assises, des lampes, des halls d’accueil, des cabines téléphériques tellement en avance sur leur temps qu’on a encore du mal à réaliser qu’ils ont été pour la plupart conçus à l’aube des années 60, déclare Michel Roset, directeur de création groupe. L’esprit de légèreté et d’économie des matériaux, qui a présidé à la réponse apportée par Pierre Guariche au besoin des meubles en grande série qu’exigeait la France en reconstruction, a un écho avec notre philosophie : meubler pour durer, intelligemment, respectueusement, en restant beau. » Pour mener à bien cette entreprise, le fabricant a obtenu les droits d’édition pour l’ensemble de l’œuvre du créateur, auprès de Jean-Marc Villers, ayant droit de la famille Guariche. « Pierre Guariche a une excellente image dans les milieux universitaires et du design mais malheureusement il est un peu tombé dans l’oubli, à tort, explique ce dernier. Il me tenait à cœur qu’on le (re)découvre dans une qualité de facture en ligne avec sa vision et son amour du détail. Cinna, c’est à la fois la garantie du Made in France, et du Label Patrimoine Vivant pour des fabrications en série, qui seront disponibles sur de nombreux marchés. »

Fauteuil G1O et liseuse G21.

Un acteur de la reconstruction

Pierre Guariche (1926-1995) a joué un rôle de premier plan dans l’Après-guerre, au moment où il a fallu reconstruire le pays, et fabriquer à grande échelle des produits fonctionnels, en simplifiant les processus, en créant une nouvelle élégance basée sur les économies de moyens. « Ingénieur, designer, architecte d’intérieur, Pierre Guariche a contribué à dessiner le style de son époque par une insatiable envie d’innover, de se confronter aux nouveaux matériaux. Il passait avec une grande facilité d’une échelle de création à une autre mais toujours avec le souci de la fonction, de l’usage et c’est ce qui donne à ses créations leur intemporalité », ajoute Jean-Marc Villers, fin connaisseur de son œuvre. Les rééditions de Cinna traduisent cette démarche, à l’image du bahut créé pour la galerie M.A.I. en 1952, avec sa structure en MDF plaqué frêne teinté, son piétement en frêne massif teinté et sa porte coulissante en métal laqué noir, un ensemble qui en fait un rangement emblématique du style des années 1950, de même que le bahut 148, créé pour la même galerie. « Les dimensions sont inchangées par rapport au dessin d’origine, nous avons parfois légèrement adapté la teinte, qui était un peu orangée, et les volumes de rangement intérieurs », ajoute Bruno Allard, directeur de la marque Cinna. Dessinée en 1953, la table de repas extensible, avec plateau en MDF plaqué frêne teinté reposant sur un archétypal piétement en métal laqué noir, a elle aussi bénéficié d’une actualisation avec un mécanisme contemporain pour pouvoir déployer les allonges avec une meilleure stabilité. Durant la décennie 1950, le designer s’illustre également avec la création de luminaires tout aussi emblématiques de cette nouvelle esthétique industrielle, qui fait appel au métal pour obtenir des piétements très fins, des formes circulaires et minimalistes, et des tôles perforées, à l’image de la suspension G13 AM (1952), en acier laqué noir entourant une lentille de Fresnel en verre, de la liseuse G21 (1953) avec son mât en laiton vernis brossé et son abat-jour en aluminium, ou encore du lampadaire G 20 (1954).

Bahut 148 (1952).

Du Plan Montagne a la conquete de l’espace

Après avoir créé sa propre agence en 1951, Pierre Guariche participe dans les années 1960 au Plan montagne, et se lance en 1961 dans l’aménagement, avec l’architecte Michel Bezançon des stations de ski Plagne-Centre, puis d’Aime 2000 et Plagne-Bellecôte, en concevant intérieurs d’appartements et galeries publiques. Dans ce contexte, il crée l’un de ses modèles les plus remarquables, la chaise longue Vallée blanche (1963), éditée à l’époque à quelques exemplaires seulement. Son piétement en métal chromé, et son revêtement en housse textile « sans couture » ont rendu sa réédition particulièrement complexe. A partir des années 1970, c’est une nouvelle période qui s’ouvre, fortement influencée par la récente conquête de la lune, qui ouvre l’ère d’une esthétique inspirée de l’espace. C’est dans ce contexte que Pierre Guariche crée notamment le fauteuil Jupiter (1966), un modèle pivotant aux formes enveloppantes, qui aurait sa place dans un vaisseau spatial de science-fiction. Edité par Meurop, il est présenté au catalogue comme « Le fauteuil de luxe par excellence ». « Pour ce modèle, nous avons ici encore respecté intégralement le dessin d’origine, tout en améliorant le confort avec des matériaux et procédés modernes », commente Bruno Allard.

A partir de 1974, le designer s’oriente vers une troisième partie de carrière consacrée notamment à plusieurs projets importants d’architecture intérieure dans les domaines public et tertiaire tels que l’Athena-Port à Bandol avec l’architecte Jean Dubuisson, le tribunal de grande instance de Créteil et l’Hôtel du département de l’Essonne. En 1992, une exposition lui est consacrée au Centre Pompidou, avec une quinzaine de pièces, dont la chaise longue Vallée Blanche, une table basse, un fauteuil, une chaise Prefacto, une chaise dite « Tonneau », une chaise Vampire, ainsi que quelques pièces de luminaires.

En rééditant Pierre Guariche, Cinna voulu redonner vie à une œuvre en créant du mobilier à vivre, à l’inverse de certaines rééditions qui s’inscrivent dans une perspective de conservation plus muséale. Dans cette optique, la collection comporte aussi une série de chaises – bridge et chaise Tonneau (1954), bridge et chaise Papyrus (1954) – pour lesquelles le designer a été l’un des premiers à utiliser des coques en multiplis de hêtre, un matériau qui associe la fabrication en série et la durabilité. Une approche identique s’exprime dans le fauteuil et le canapé deux places G 10 (1953), un autre modèle archétypal des années 1950, qui trouvera parfaitement sa place dans les intérieurs actuels.

Suspension G13 AM (1952).
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