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[Arnaud Visse, President de l’Ameublement français] « Les fabricants français sont sur tous les fronts »
Ralentissement du marché, secteurs pénalisés ou plus dynamiques, nouvelles exigences environnementales, économie circulaire, made in France, export… Près d’un an après sa prise de fonction, le Président de l’Ameublement français fait un tour d’horizon des nombreux défis auxquels sont confrontés les fabricants, sans oublier leurs atouts, sur lesquels il faut miser pour les relever. Il dessine ainsi les axes structurants de son action au service de la filière, et donne rendez-vous à l’occasion des Rencontres de l’Ameublement français, le 13 juin, pour parler intelligence artificielle et économie régénérative. Propos recueillis par François Salanne
Que peut-on dire de la conjoncture, pour l’annee ecoulee et en ce S1 2024 ?
La fabrication d’ameublement en France (tous marchés, domestique comme professionnel) en 2023 a été en demi-teinte, et a même enregistré une dégradation sur la fin de l’année. Sur l’ensemble de l’exercice 2023, le chiffre d’affaires du secteur est à – 2 % en valeur, mais si l’on tient compte des ajustements de prix réalisés pour répercuter les hausses des matières, nous sommes plutôt à – 8 % en volume, ce qui traduit un net recul des ventes, et donc de l’activité de production des entreprises. Ce retournement concerne des familles de produits qui ont longtemps tiré le marché, notamment le meuble de cuisine qui marque lui aussi le pas, de même que la salle de bains et les rangements. La raison est simple : ce sont des familles de produits liées à des projets d’aménagement, qui subissent de plein fouet la crise de l’immobilier. La construction neuve est en grande difficulté, puisque les mises en chantier ont reculé de 40 % en 2023, tandis que les transactions dans l’ancien ont reculé de 25 %, pour s’établir à 950 000, ce qui a réduit mécaniquement les ventes de cuisines, salles de bains et rangements, par rapport aux années post-Covid particulièrement dynamiques (plus de 1,2 million de transactions). La cuisine est donc alignée avec l’ensemble du marché, avec – 8 % en volume environ, le chiffre d’affaires fabrication étant étal en 2023 par rapport à 2022, mais du fait des hausses de tarif appliquées.
Y a-t-il des secteurs qui se portent mieux que d’autres ?
Le marché résistant le mieux est celui de la literie, qui est à – 4 % en chiffre d’affaires, et qui semble reprendre des couleurs en ce début d’année, tandis que le mobilier professionnel – en particulier le bureau – qui s’en sortait mieux que le mobilier domestique, a ralenti à son tour à la fin 2023. Sur l’ensemble du marché, le secteur se portant le mieux est clairement celui du contract, des hôtels et restaurants, de l’hospitality. Après avoir subi de plein fouet les années Covid, il est reparti très fort, porté par la reprise du tourisme, et offre beaucoup d’opportunités, car un grand nombre de projets voient le jour. J’ajoute que la haute facture fonctionne aussi très bien, du fait d’un savoir-faire unique de très belles manufactures, qui trouvent grâce auprès d’une clientèle aisée, aimant le luxe à la française. A noter que les carnets de commande trouvent principalement leur origine à l’export vers des zones géographiques porteuses, comme la Chine, les Etats-Unis, le Moyen-Orient. Pour ce qui est de l’exercice 2024, le premier trimestre s’inscrit dans la même tendance que 2023, mais nous constatons des premiers signaux, certes faibles, de reprise : l’inflation, qui est un important frein à la consommation, a été maîtrisée, le prix de l’énergie a diminué et on s’attend à une baisse des taux d’intérêt, qui pénalisent le marché de l’immobilier, en cours d’année. De plus, le taux d’épargne des ménages a rarement été aussi élevé, ce qui constitue une réserve de pouvoir d’achat qui pourrait se transformer en consommation, une fois la confiance revenue.
Dans ce contexte, quels sont les defis a relever pour les fabricants français ?
Ces défis sont nombreux et, face à une demande faible qui crée un marché au ralenti, leur première préoccupation est d’avoir un volume suffisant de commandes pour faire tourner leurs usines, et pouvoir supporter leurs coûts fixes. Pour séduire un consommateur peu acheteur, il faut plus que jamais innover, être créatif, se différencier de la concurrence. Il faut aussi faire preuve d’une certaine agilité, pour faire évoluer son offre vers les segments de marché qui sont les plus dynamiques, comme par exemple le contract ou l’outdoor, et ne pas laisser passer les opportunités qui se présentent, sans oublier d’identifier les marchés les plus porteurs à l’export. Nous devons aussi lutter contre le « fast furniture », qui est l’équivalent de la « fast fashion » dans l’habillement, dont on a vu les conséquences très douloureuses sur les enseignes de vêtements. Notre marché est aujourd’hui envahi principalement par du petit mobilier - mais cela concerne aussi le rangement et le mobilier d’extérieur – fabriqué en Asie et vendu très peu cher par les enseignes de hard discount, qui sont les premiers distributeurs de mobilier low cost aujourd’hui. Cela constitue une concurrence sévère pour nos industries, d’autant plus que les produits de moins de 150 euros passent sous les radars des Douanes. Pour lutter contre ce phénomène, nous devons rappeler avec force que ce mobilier de mauvaise qualité ne dure pas, que son aspect « jetable » est désastreux pour l’environnement, et qu’il est fabriqué sans respecter les normes sociales qui sont appliquées en France et en Europe, et faire au contraire la promotion des achats responsables. La réalité d’un prix d’achat s’entend également dans sa durabilité, et ne saurait se limiter au prix affiché au moment de l’acquisition.
Justement, les entreprises doivent aussi faire face a des exigences environnementales nouvelles...
Il y a en effet de nouvelles contraintes qui pèsent sur les activités industrielles, parmi lesquelles des exigences qui concernent par exemple la sécurité incendie, dont dépend l’assurabilité de nos sites. Il y a aussi le gros sujet de la CSRD – la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive – qui remplace la déclaration de performance extra-financière (DPEF) jusqu’ici applicable à certaines entreprises dans le cadre d’un rapport de durabilité. Les informations devront inclure les politiques, les risques et les performances de l’entreprise en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Cette Directive vise à encourager les entreprises à intégrer la durabilité dans leur stratégie d’entreprise et à rendre compte, de manière transparente, de leurs actions et impacts environnementaux et sociaux en les sensibilisant aux défis de la durabilité. Elle a également pour objectif de promouvoir une économie plus durable par le développement d’une culture de la responsabilité d’entreprise. Ces nouvelles exigences s’appliquent déjà pour l’exercice 2024 aux entreprises de plus de 500 salariés remplissant l’un des deux critères suivants : soit un bilan supérieur à 25 millions d’euros, soit un CA net supérieur à 50 millions d’euros. Dès 2025, ces exigences s’appliqueront aux entreprises remplissant deux des trois critères suivants - nombre de salariés supérieur à 250, bilan supérieur à 25 millions d’euros, CA net supérieur à 50 millions d’euros – et devraient s’étendre progressivement à toutes les autres. C’est un chantier qui mobilise du temps et de l’argent, et vient s’ajouter à un contexte déjà difficile.
En parlant de chantier, l’Ameublement français en a lance un autre d’envergure, en faveur de la RSE. Peut-on en faire un bilan d’etape ?
L’accélérateur RSE de l’Ameublement français, qui consiste notamment à accompagner les entreprises pour les faire monter en compétence dans l’économie circulaire, fait partie des trois grands piliers de notre projet sectoriel, avec pour horizon de devenir une filière à impact positif – le « zéro émissions nettes » en 2050 - les autres piliers étant le développement du design d’usage et la transformation des entreprises – notamment numérique - pour reconquérir l’international. Un peu plus de deux ans après son lancement, près de 60 entreprises ont suivi notre programme et autant de référents RSE ont été formés. Jusqu’à présent, ces entreprises ont été surtout des ETI et PME, parce que les échéances arrivent plus vite pour elles, mais de plus en plus de petites structures s’y investissent. Le point positif que nous constatons est l’appropriation de cette thématique par les entreprises, qui la voient de moins en moins comme une contrainte, et de plus en plus comme un axe de progrès, et un moyen de donner du sens et une trajectoire vertueuse à leur activité. Ce succès tient pour beaucoup au fait que nous avons élaboré une méthodologie et des outils spécialement adaptés à notre filière, qui parlent à nos entreprises. En complément, nous sommes en train de réaliser un guide des bonnes pratiques, qui sera finalisé en fin d’année, avec un référentiel qui sera au service du collectif, et permettra de se positionner sur tous ces sujets, et de mesurer les progrès réalisés par la filière. Autre signal positif, notre club RSE, animé par notre directrice RSE Laurence Roure, qui se réunit tous les premiers mardis du mois dans un format court de 30 minutes, en sélectionnant un intervenant sur un sujet à chaque fois, a fidélisé environ une centaine de professionnels.
On parle beaucoup d’economie circulaire. Est-ce que les choses bougent sur le terrain ?
Il faut dire que les choses changent d’abord chez les particuliers. Pendant longtemps, les seuls acteurs qui permettaient de donner une seconde vie aux produits étaient les brocantes, les acteurs de l’économie sociale et solidaire comme Emmaüs, et les ventes aux enchères pour les collectionneurs. Ensuite, les sites spécialisés sont arrivés – du type Le Bon Coin – qui ont permis aux consommateurs de céder leurs meubles plutôt que les jeter, en agissant pour l’environnement tout en monétisant cette action. On voit aussi que le « do it yourself » gagne du terrain : il y a une tendance à réparer, à relooker soi-même ses meubles, pour leur donner une seconde vie. Sur ce nouveau marché, nos entreprises sont de plus en plus actives, car il va prendre de l’ampleur, avec les grands groupes en première ligne. C’est ainsi que Gautier a créé un partenariat avec Izidore, une place de marché qui organise la vente de meubles d’occasion, que Fermob a lancé Re-Paint, un service de reprise des meubles usagés pour les repeindre à la couleur de son choix, grâce à un réseau d’artisans labellisés établis sur tout le territoire. On peut aussi évoquer Lafuma, qui favorise l’auto-réparation, en proposant sur internet les pièces détachées nécessaires à la réparation de ses meubles, avec des tutoriels associés, et Ligne Roset qui propose de reprendre les fauteuils et canapés Togo et, selon leur état, soit de les restaurer dans ses ateliers pour les revendre à 40 % du prix du neuf, avec une garantie de 24 mois à la clé, soit de les recycler… Ces entreprises sont des pionnières, mais sous l’impulsion notamment des éco-organismes, tous les metteurs sur le marché vont y venir, au sein de réseaux qui sont en train de s’organiser. Ces sujets se développent aussi sur le marché du mobilier professionnel. Par exemple, la loi AGEC intègre notamment l’obligation pour la commande publique d’acquérir des biens issus du réemploi, de la réutilisation, des biens intégrant des matières recyclées et selon différentes catégories de produits. L’idée de produire de plus en plus en circuit court fait son chemin, comme le montrent les 1 500 chaises fabriquées par l’entreprise landaise Bosc pour Notre-Dame de Paris, un magnifique exemple de cette nouvelle préoccupation. Ce sont des sujets qui démarrent, que nous développons avec notre écosystème et notamment le FCBA et les éco-organismes historiques du meuble Ecomaison et Valdelia, avec à la clé des débouchés d’avenir pour notre filière : la durabilité grâce à l’éco-conception de nos produits et leur réparabilité seront des arguments concurrentiels pour rivaliser avec les fabricants asiatiques, à moindre coût mais aussi moindre longévité des produits.
Il y a egalement du nouveau concernant l’export…
En effet, avec l’appui du CODIFAB, nous avons lancé notre nouvelle marque ombrelle à l’export, « French Living in motion », à l’occasion de la récente Milan Design Week qui s’est terminée le 21 avril. L’idée de ce nouvel étendard est de nous adresser à tous les acteurs de la profession de l’aménagement des espaces de vie, des acheteurs aux prescripteurs, des donneurs d’ordre aux institutionnels, en étant identifié sur la scène internationale comme mobilier de fabrication française, qui est un mélange de qualité, d’innovation, de durabilité et de créativité. Le terme « in motion » - « en mouvement » - traduit bien le fait que nous ne sommes pas seulement les héritiers d’une grande histoire des styles et des arts décoratifs, mais qu’il y a dans notre production une dimension de design, et que nous fabriquons des produits répondant à l’usage d’aujourd’hui. Ce lancement s’est effectué dans le cadre de tout un parcours estampillé « French Living in motion » à Milan, qui a permis de fédérer les représentants des industries françaises – 70 au total – et ponctué par deux expositions majeures : Monolithes, qui a réuni les acteurs de la haute facture française, organisée par l’Ameublement français à la Galerie Palermo (quartier de Brera), et Nuancier nomade, qui a réuni une sélection de la création française parmi les cent créations de l’année (FD100), organisée avec le French Design by VIA à l’Institut Français de Milan. Ces deux manifestations, avec leur beau succès de fréquentation, ont été classés parmi les temps forts de la Milan Design Week, et nous avons eu l’honneur de la visite de Madame Olivia Grégoire, ministre des entreprises, du tourisme et de la consommation, de Laurent Saint-Martin, Directeur Général de Business France et de François Bonet, Consul de France à Milan, ainsi que de leurs équipes respectives.
Quels sont les rendez-vous a venir pour l’Ameublement français ?
Nous travaillons à une nouvelle édition de la campagne de communication #Meublez-vous français, qui mettra l’accent sur les atouts en RSE, sur la qualité et sur les normes sociales élevées que nous respectons dans la fabrication de nos produits, qui aura lieu en octobre.
Pour cette cinquième édition, nous souhaitons embarquer les partenaires distributeurs réellement engagés au service du Fabriqué en France… avec qui nous avons des intérêts et valeurs communes à défendre. Nous serons également présents sur le salon EquipHotel en novembre, où nous présenterons un partenariat exclusif avec la chaîne hôtelière Okko Hotels, qui s’est engagée à intégrer davantage de fabrication française au sein de ses établissements, une superbe vitrine pour nos savoir-faire adaptés aux marchés du contract, et notamment du sur-mesure. Ce sera aussi l’occasion de dévoiler cette méthode de collaboration innovante en faveur de modèles « Fabriqué en France » compétitifs et applicable à des partenariats futurs… Plus près de nous, je donne rendez-vous aux entreprises de notre secteur pour les Rencontres de l’Ameublement 2024, qui auront lieu le 13 juin à l’UGC Ciné Cité Bercy Village (Paris XIIe). Ces rencontres seront l’occasion de mettre le doigt sur l’une des mutations majeures à venir, l’intelligence artificielle générative et ses conséquences sur nos métiers. Elles permettront aussi de remettre les Trophées RSE 2024 dans trois catégories - QVT (qualité de vie au travail), diversité / inclusion, économie circulaire et ancrage dans le territoire – un challenge pour inciter à mettre en œuvre les bonnes pratiques. Rendez-vous le 13 juin !